Mieux dormir, la solution au trouble anxiodépressif ?

7 janvier 2022
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Pas moins de 11% des Belges de plus de 15 ans souffrent d’anxiété généralisée, et 9% manifestent une forme de dépression, selon les derniers chiffres, datant d’avant la pandémie, de l’Institut scientifique de santé publique Sciensano. Ces deux troubles mentaux font l’objet de nombreuses recherches, tant pour perfectionner leur prise en charge, que pour améliorer leur prévention. Néanmoins, peu d’études prennent en compte leur comorbidité. « Or, environ 1 personne sur 2 présentant un trouble dépressif exprime également un trouble anxieux, et vice-versa », informe Alexandre Heeren, Professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UCLouvain et chercheur qualifié FNRS à l’Institut des neurosciences.

Dans le cadre de la thèse de Charlotte Coussement, psychothérapeute et psychoclinicienne à l’hôpital du Beau Vallon, le Professeur Heeren et la doctorante ont cherché à déterminer par quels mécanismes neurocognitifs ces deux pathologies sont liées.

Les problèmes de l’attention, un facteur de risque important

Les chercheurs sont partis de l’hypothèse que des difficultés au niveau du contrôle attentionnel joueraient un rôle important dans l’association de la dépression et des troubles anxieux.

Le contrôle attentionnel est la capacité d’un individu à choisir de se concentrer sur une tâche. Il se compose de trois grands éléments : l’alerte (la capacité à réagir rapidement à un événement et à maintenir son attention lors de situations peu stimulantes), l’orientation (la capacité à filtrer une information parmi d’autres stimuli) et le contrôle exécutif (la capacité à contrôler ses émotions).

Un faible contrôle attentionnel peut conduire à de l’inattention, de l’hyperactivité et à de l’impulsivité. « Un déficit de l’attention représente un facteur de risque important pour toute une série de troubles psychiatriques, et est au cœur de nombreux modèles de la dépression et de l’anxiété, pris isolément », précise le Directeur du laboratoire de recherche « Stress and Anxiety ».

Etudier la comorbidité psychiatrique par les graphes

Pour éprouver leur hypothèse, les chercheurs ont exploité un outil de modélisation statistique basée sur la théorie des graphes. « Ce modèle mathématique permet d’évaluer les interactions entre différents éléments », explique le Pr Heeren. « Imaginons, par exemple, une carte modélisant les différents vols entre les aéroports d’un même pays. Nous pourrions alors déterminer l’aéroport qui présente le plus de liaisons avec les autres, et donc désigner celui qui soutient le système aéroportuaire du pays. Sans cet aéroport en particulier, l’ensemble du système serait mis à mal. »

Dans une étude récente, les deux scientifiques ont évalué les liens, non pas entre des aéroports, mais entre les troubles dépressifs et anxieux, et le contrôle attentionnel. Pour ce faire, ils ont analysé les symptômes de 371 patients anxiodépressifs hospitalisés à l’hôpital Beau Vallon, ainsi que leur capacité attentionnelle. « Via la modélisation, nous avons tenté de savoir comment ces trois composants s’auto-alimentent et se renforcent les uns avec les autres. Révélant ainsi les interactions existant entre eux ». En déterminant l’élément qui présente le plus de connexions avec les autres, les chercheurs sont parvenus à identifier le problème principal qui maintient, ensemble, ces deux systèmes pathologiques.

« Et là, surprise ! Contrairement à ce que nous supposions, ce ne sont pas les problèmes attentionnels qui “cimentent” la présence conjointe d’une dépression et d’un trouble anxieux chez ces patients, mais bien les troubles du sommeil. Et ce, de manière extrêmement déterminante », souligne Alexandre Heeren.

Etude de la comorbidité psychiatrique par les graphes © Alexandre Heeren – Cliquer pour agrandir 

Cibler les problèmes de sommeil ferait s’effondrer le système pathologique

Pour les auteurs de l’étude, d’autres recherches (idéalement réalisées sur le long terme) seront nécessaires pour confirmer leur conclusion. « Mais, de manière intuitive, nous pouvons facilement saisir le rôle de passerelle que jouent les problèmes de sommeil avec la dépression et l’anxiété » observe le Pr. Heeren. « Bien dormir est, en effet, essentiel à la santé physique et psychique. La privation de sommeil conduit à une plus grande réactivité émotionnelle face à des stimuli stressants, on ressent les choses de manière excessive. Mais aussi à être moins flexible émotionnellement, et donc moins capable de s’adapter aux événements, qu’ils soient négatifs ou positifs.»

Ces résultats esquissent des pistes pour le traitement de l’anxiodépression, ainsi que pour la prévention des rechutes. « L’enjeu est important, car ces patients sont deux à trois fois plus à risque de commettre une tentative de suicide que ceux souffrant uniquement d’anxiété ou de dépression. La durée de traitement est également allongée, et le risque de rechute beaucoup plus élevé. S’il est démontré à l’avenir que l’on peut traiter efficacement les personnes anxiodépressives en améliorant leur qualité du sommeil, l’impact sociétal pourrait être énorme », conclut le chercheur.

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