Véhicules autonomes: le maillon faible, c’est le conducteur

29 décembre 2021
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

Pour rendre un véhicule encore plus autonome… rien de tel que de s’intéresser de près à son conducteur. À l’Université de Liège, l’ingénieure civile en électricité Anaïs Halin en a fait son sujet de recherche. La doctorante du département d’Électricité, Électronique et Informatique de l’Institut Montefiore (ULiège), vient de publier une étude consacrée à la surveillance de l’état des conducteurs de telles voitures.

Pourquoi se concentrer sur les pilotes de ces engins? « Parce que l’autonomie de ces véhicules accessibles au grand public est encore plutôt limitée et que l’intervention humaine y reste donc indispensable », dit-elle. « Et, malheureusement, la prise en considération de l’état du conducteur (fatigue, attention, somnolence) n’est pas vraiment une priorité dans le secteur des véhicules autonomes. »

Intégrer pleinement cette dimension humaine dans le développement des véhicules autonomes est au cœur du travail de cette chercheuse soutenue par le projet de recherche wallon ARIAC (Applications et Recherche pour une Intelligence artificielle de Confiance).

Six catégories d’autonomie

« On classe généralement les véhicules autonomes en six catégories », explique la chercheuse. « Cela va du niveau 0 au niveau 5 ».

« Le standard le plus utilisé et le plus reconnu pour caractériser le niveau d’autonomie d’une voiture est celui de l’association SAE International », explique Anaïs Halin. Il s’agit d’une association mondiale regroupant plus de 128.000 ingénieurs et experts techniques des secteurs de l’aérospatiale, de l’automobile et des véhicules commerciaux.

« Au niveau zéro, on retrouve des véhicules sans aucun type d’assistance, dénué de tout système d’aide au freinage ou d’une direction assistée », précise-t-elle. « Le niveau 1 concerne des véhicules capables de maintenir de manière indépendante leur trajectoire ou leur vitesse (« cruise control »). Au niveau 2, il s’agit de voitures susceptibles d’assurer ces deux types d’aide à la conduite en même temps, et de manière autonome. »

C’est le cas de la Tesla, qui se déplace toute seule, mais uniquement dans certaines situations. « Elle ne change pas toute seule de bande de circulation », précise l’ingénieure. « Son conducteur doit rester vigilant, surveiller ce qui se passe. Il doit pouvoir intervenir immédiatement en cas de problème. Il reste donc responsable de la conduite. »

Anaïs Halin © Christian Du Brulle

Reprendre le contrôle quand la voiture le demande

« Au niveau 3, dans les limites des systèmes d’autonomie, le conducteur n’assure plus cette responsabilité. Mais il doit pourtant pouvoir reprendre le contrôle dès que la voiture le lui demande. À ces différents niveaux, on comprend aisément que la surveillance de l’état de vigilance du conducteur est très importante. Pas question de dormir au volant.

Par contre, au niveau 4, cette obligation de vigilance humaine disparaît. La voiture ne force plus le conducteur à reprendre le contrôle en cas de souci. Elle est capable de s’arrêter d’elle-même quand elle a atteint ses limites, et de rejoindre un parking. »

« Quant au niveau 5, il concerne des véhicules totalement autonomes en toutes circonstances. La présence d’un conducteur n’y est même plus nécessaire. »

La clé actuelle d’une plus grande automatisation des voitures réside dans la surveillance de l’état du conducteur. Un premier volet de la recherche menée par Anaïs Halin lui a déjà permis de faire un état des lieux de la question.

Une aide pour les chercheurs du secteur

Que surveiller chez un conducteur? Comment? Et comment interpréter ces informations pour rendre la voiture encore plus sûre? « Il s’agit de fournir aux chercheurs les meilleurs moyens de caractériser les différents états du conducteur », précise-t-elle.

Cela passe par des indicateurs comme la mesure du flux cardiaque, de la fréquence de battements des paupières, mais aussi de paramètres liés à des attitudes de conduite comme des coups de volant, la manière dont on freine ou encore des indicateurs environnementaux. Fait-il noir? Y a-t-il de la pluie? La visibilité est-elle bonne? Quelle est la densité du trafic ? Plus il y a d’informations à traiter, plus cela influence l’état du pilote. »

Mesurer ces paramètres physiologiques et physiques passe par la mise en œuvre de capteurs (caméras, montres connectées). D’autres capteurs à créer analyseront l’état mental du conducteur (somnolence, charge mentale, distraction, stress et colère, conduite sous influence (alcool, médicaments et autres drogues).

Avec cette publication, l’idée est de pouvoir guider au mieux les chercheurs du domaine à opter pour les meilleures approches à suivre afin d’obtenir les résultats escomptés. Par exemple, quel indicateur et donc quel capteur, utiliser pour mesurer tel ou tel état du conducteur.

Vers une véritable collaboration pilote-machine

La suite? La doctorante discute actuellement avec des membres de la faculté de psychologie de l’ULiège, mais aussi avec une ancienne spin off de l’université spécialisée dans la surveillance des yeux du conducteur afin de définir ses prochains axes de recherche.

« Nous aimerions travailler sur une certaine forme de collaboration entre les systèmes du véhicule autonome et son conducteur », précise-t-elle. « Actuellement, c’est le pilote qui active le système d’assistance à la conduite, parfois même sans s’en rendre compte, simplement en mettant le contact. Et la voiture fait le reste. En cas de problème, c’est au conducteur de reprendre le contrôle. Mais il n’y a pas de véritable collaboration dans cette dynamique. Les systèmes de surveillance actuels sont surtout utilisés pour l’activation d’alertes. Le conducteur semble-t-il plonger dans une forme de somnolence? Le système va déclencher une alerte, pour éviter qu’il ne s’endorme. Quitte-t-il sa trajectoire? Ici aussi, une alerte le met en garde.»

« Ce qu’on souhaiterait faire à l’avenir, c’est étudier comment développer une collaboration entre le conducteur et sa machine. Comment utiliser ces informations de surveillance de l’état du conducteur pour déclencher une alerte, mais aussi activer immédiatement des aides à la conduite capables de prendre le relais en cas de non-réaction du conducteur.»

Un objectif ambitieux. Notamment, parce qu’il faut aussi pouvoir tenir compte du style de conduite de chacun. Et des habitudes régionales sur les routes. On ne conduit pas de la même manière à Liège qu’à Berlin, à Rome ou sur une autoroute au Portugal… « Tout le problème est d’arriver à ce que le conducteur fasse réellement confiance au système », conclut Anaïs Halin.

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