A l’interface entre la terre et l’océan, les forêts de mangrove occupent les marais maritimes de plus de 120 pays tropicaux et subtropicaux. Si leur importance socio-économique et écologique est aujourd’hui bien connue, leurs aires de distribution laissent encore perplexes les scientifiques.« Bien que l’on trouve certaines espèces le long de la côte atlantique de l’Amérique du Sud, il n’existe aucune forêt de mangrove au sud de l’estuaire d’Araranguá, au Brésil, alors même que la géomorphologie de la région leur parait adaptée », explique Arimatéa Ximenes, spécialiste des forêts de mangrove et des zones humides au Centre de recherche forestière internationale.
Lors de sa thèse de doctorat à la VUB et à l’ULB, le chercheur a tenté d’en comprendre les raisons. Une étude soutenue par la FNRS et le Conseil national de développement scientifique et technologique brésilien, réalisée en collaboration avec l’Université Catholique de Louvain et le Jardin Botanique de Rio de Janeiro.
Quatre sites passés à la loupe pendant huit ans
Le mode de reproduction des mangroves est assez unique. Leurs graines germent sur l’arbre-parent, et non en terre, comme c’est le cas chez la plupart des végétaux. Les fruits, les propagules, tombent ensuite dans l’eau et sont transportés par les vagues pendant plusieurs semaines jusqu’à un nouveau site.
Dans une précédente étude à laquelle a participé la VUB, la dispersion des propagules a été cartographiée. Ce qui a permis de constater que le développement des mangroves ne s’étend pas au sud de la côte est de l’Amérique du Sud.
À l’échelle mondiale, les limites de la distribution des mangroves sont généralement associées à la fréquence des épisodes de gel et de sécheresse. « Pour comprendre ce phénomène en Amérique du Sud, nous avons donc analysé et comparé la température de l’air et les précipitations de quatre sites le long de la côte brésilienne – 3 sites pourvus de mangroves et un qui en est exempt – pendant huit ans. Nous avons aussi étudié la circulation océanique de la région », indique le chercheur.
Une expansion limitée par des événements saisonniers
Les données relatives aux pluies et aux températures ont été obtenues auprès des quatre stations météorologiques de l’Institut national brésilien de météorologie les plus proches des sites étudiés.
Concernant les températures, plusieurs informations ont été recensées : la température moyenne annuelle de l’air, la température moyenne de l’air du mois le plus froid (le mois de juillet), la température de l’air minimale quotidienne, la température moyenne de l’air des 10 jours les plus froids, et l’amplitude thermique (l’écart entre la température minimale et maximale) moyenne mensuelle.
Les chercheurs ont aussi dénombré les événements de refroidissement pour la mangrove, c’est-à-dire quand la température de l’air est inférieure à 15°C.
Résultats ? « En fonction de la saison, différents éléments se conjuguent pour limiter la propagation des espèces de mangroves vers le sud. »
L’effet sous-estimé des courants océaniques
Les chercheurs ont notamment constaté une fréquence plus élevée d’événements de refroidissement en hiver et en automne à Araranguá, en comparaison avec les trois sites contrôles. Ce serait toutefois la circulation océanique qui influencerait le plus la survie, la dispersion et l’établissement des propagules dans la région.
« Au printemps et en été, des événements de refroidissement de la température de surface de la mer sont plus fréquents et plus intenses à Araranguá. Cela s’explique par des remontées d’ eaux océaniques profondes et froides. »
« Surtout, nous avons noté que la dérive littorale, soit le courant parallèle à la côte, est dirigée vers le nord la majeure partie de l’année. Ce qui a pour effet d’empêcher les propagules transportées par les vagues de dériver vers le sud. »
Selon le chercheur, étudier les limites de l’aire de répartition des forêts de mangrove est utile pour surveiller les effets du changement climatique. En raison de la hausse des températures, et des modifications attendues des courants marins, les scientifiques supposent que les mangroves pourraient, à l’avenir, étendre leur aire de dispersion.