Pendant des décennies, les scientifiques ont pensé que dans les liquides, le mouvement des molécules autour de leur position n’était possible que si elles collaboraient. Cela est connu sous le nom de mobilité structurelle. L’équipe dirigée par le professeur Napolitano, du laboratoire Experimental Soft Matter and Thermal Physics (ULB) a identifié un nouveau processus moléculaire appelé SAP (slow Arrhenius process). A haute température, celui-ci est plus lent que la mobilité structurelle. Mais lorsque le liquide devient si visqueux qu’il se comporte presque comme un solide, le SAP prend le dessus sur la mobilité structurelle.
Une lutte pour garder l’équilibre
Un système est à l’équilibre lorsque ses propriétés ne changent pas avec le temps.
Pourtant, une telle observation est rarement rencontrée dans la nature. La transformation des bourgeons en fleurs puis en fruits, les réarrangements des plaques à la surface des planètes, et même le corps humain tout entier au cours de sa vie ne sont que quelques exemples, parmi tant d’autres, de systèmes loin de l’équilibre.
Avec le temps, ces systèmes luttent pour atteindre l’équilibre, c’est-à-dire qu’ils se réarrangent et s’adaptent à l’environnement pour parvenir à réduire leur énergie interne.
Comprendre la trajectoire des molécules
« Depuis près d’un siècle, nous savons que les phénomènes macroscopiques d’équilibre (par exemple, une corde élastique qui s’allonge lorsqu’on la tire, ou un glaçon qui fond lorsqu’on le sort du congélateur) nécessitent un mouvement microscopique des molécules. En augmentant la température, les molécules se déplacent plus rapidement, et l’équilibre est atteint en un temps plus court. Ce principe fondamental reflète la beauté de la physique et a de puissantes implications », explique le Pr Napolitano.
« En observant comment un matériau réagit à l’application de petites forces, nous pouvons suivre le processus d’équilibrage et, par conséquent, comprendre les trajectoires des molécules, quelles que soient la vitesse de déplacement des molécules et la petitesse des distances qu’elles parcourent. »
Mobilité structurelle
Grâce à ces méthodes expérimentales, il a été possible d’observer que les molécules des liquides ont besoin de coopérer pour se déplacer autour de leur position. « Plus la température se refroidit, plus le liquide devient dense et visqueux, et plus les molécules doivent coordonner leurs mouvements pour s’équilibrer », poursuit le physicien.
« Ce phénomène est similaire à ce qui se passe lorsque nous conduisons. Si la route est vide (température élevée), nous pouvons nous déplacer aussi vite que nous le souhaitons, mais dans un embouteillage (température basse), nous restons bloqués jusqu’à ce que les voitures qui nous entourent « se concertent » et nous laissent de la place. »
Pendant des décennies, la dynamique des liquides a été décrite en considérant uniquement ce type de mouvement, connu sous le nom de mobilité structurelle.
La dynamique des liquides mieux comprise
Le laboratoire EST (Experimental Soft Matter and Thermal Physics) de l’ULB vient de démontrer que les molécules ont également une autre façon de se déplacer. Ce nouveau processus moléculaire est dénommé appelé SAP (slow Arrhenius process).
« A haute température, le SAP est plus lent que la mobilité structurelle et présente les caractéristiques d’un “processus d’Arrhenius”, c’est-à-dire que les réarrangements ne sont pas affectés par la densité. »
Via son travail expérimental, l’équipe du professeur Napolitano a, notamment, vérifié que les molécules de différents types de matériaux utilisent le SAP pour réduire leur énergie interne.
« Il est important de noter que le phénomène de SAP est possible à n’importe quelle température : alors que le processus structurel devient de plus en plus lent lors du refroidissement, à basse température, lorsque le liquide devient si visqueux qu’il se comporte presque comme un solide, le nouveau mécanisme prend le dessus sur l’ancien. La lenteur et la régularité gagnent la course ! »
« Grâce à ses propriétés uniques, le SAP peut faciliter l’équilibrage des matériaux en un temps raisonnable (jours, mois), à des températures où le processus structurel nécessiterait des temps géologiques (infinis). »
« On peut se représenter le SAP comme une équipe de cyclistes livrant de la nourriture : ils sont peut-être plus lents que les voitures aux heures normales, mais en cas d’embouteillage, vous pouvez compter sur eux pour apporter un repas chaud sur votre table. »
Implications industrielles
Qu’apporte une meilleure compréhension de la nature du SAP ? « Dans la conception de nouveaux matériaux et de leurs protocoles de fabrication, un meilleur contrôle des propriétés est obtenu en identifiant les conditions favorisant les mécanismes qui ne dépendent pas d’un changement dans la structure, comme c’est le cas pour le SAP. »
« De plus, comme la plupart des matériaux amorphes bruts et transformés sont stockés à basse température, la durée de conservation de ces systèmes est significativement affectée par l’équilibrage par cette nouvelle voie », conclut le physicien.