L’apport des antirétroviraux au traitement des patients infectés par le virus VIH-1 a été considérable. Cependant, un problème majeur demeure : malgré une multithérapie antirétrovirale prolongée et très efficace, des cellules infectées par des virus latents persistent chez les patients et constituent de véritables réservoirs de virus. En effet, le virus qui sommeille dans ces cellules est invisible aux défenses antimicrobiennes de la personne infectée. Une étude, notamment menée par l’ULB, contribue à une meilleure compréhension de la latence du virus VIH-1. De quoi espérer le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques
Le virus attend son heure
La production virale peut être réactivée dans ces cellules réservoirs par de nombreux stimuli cellulaires, comme une infection tout à fait banale. Ces cellules constituent une source permanente de reprise de la production virale en cas d’arrêt du traitement. En d’autres mots, même indétectable, le virus est là, prêt à se réactiver si le patient arrête son traitement.
Étant donné la très longue durée de vie de certains de ces réservoirs, on estime que leur éradication totale nécessiterait plus de 60 ans. En conséquence, un des plus grands défis de la recherche actuelle contre le SIDA consiste à éliminer les réservoirs cellulaires.
Une des stratégies explorées consiste à administrer des molécules qui réactivent l’expression des virus latents, tout en maintenant le patient sous traitement anti-VIH. Les cellules réservoirs qui expriment le virus pourraient ainsi être reconnues comme infectées et détruites par le système immunitaire de l’individu infecté.
Inhiber pour réactiver
Le Service de Virologie Moléculaire de la Faculté des Sciences de l’Université libre de Bruxelles (ULB) dirigé par Pre Carine Van Lint, directrice de recherches FNRS, étudie depuis de nombreuses années les mécanismes moléculaires qui régulent l’expression des gènes du VIH-1. « Comprendre les mécanismes à l’origine de la latence du virus permet de tester des molécules agissant sur ces différents mécanismes afin de forcer le virus à quitter cet état latent. »
« Un des mécanismes de persistance du VIH-1 est la méthylation de l’ADN, une modification chimique de l’ADN qui verrouille l’expression des gènes viraux, de manière stable mais réversible. Or, si la méthylation des gènes viraux était connue, y compris chez les personnes infectées, la façon dont la méthylation de l’ADN se mettait en place sur les gènes du VIH-1 n’était pas entièrement comprise. »
Dans ce contexte, les recherches menées par Pre Van Lint, en collaboration avec des laboratoires français, ont permis de mettre en évidence que la protéine cellulaire UHRF1 est impliquée dans le maintien de latence du VIH-1, notamment en amenant sur le génome viral la machinerie de méthylation de l’ADN. En effet, l’inhibition du facteur UHRF1 (par manipulation moléculaire ou pharmacologique) induit la réactivation des réservoirs viraux, qui peuvent alors être détectés et éliminés par le système immunitaire.
Un pas important vers une nouvelle thérapie
Cette découverte a permis aux chercheurs de l’ULB de proposer une nouvelle stratégie thérapeutique complémentaire au traitement anti-sida actuel.
En effet, ils ont démontré que des molécules anti-UHRF1, utilisées en thérapies anti-cancéreuses, permettent de « réveiller » le virus silencieux et forcent le virus latent à sortir de ses réservoirs.
En particulier, les chercheurs ont démontré que le composé polyphénolique majeur du thé vert, l’EGCG (Epigallocatechin-3-gallate), un inhibiteur connu d’UHRF1, agit également comme inhibiteur de la latence du VIH-1. L’EGCG, qui peut être administré en toute sécurité à l’Homme, réactive l’expression virale ex vivo dans des cultures de cellules réservoirs isolées à partir du sang de patients séropositifs sous multithérapie (chez qui le virus est indétectable dans le sang depuis au moins un an).
Ces expériences ont été répétées ex vivo sur des cellules de 22 patients belges (du Service des Maladies Infectieuses du Dr Stéphane De Wit à l’hôpital universitaire Saint-Pierre) et démontrent pour la première fois l’effet réactivateur de l’EGCG sur les réservoirs du VIH-1, en plus de son action antivirale qui limite la propagation de l’infection. Des résultats encourageants pour le développement de thérapies anti-VIH innovantes.