Les couleurs de l’océan, le niveau des mers, mais aussi les vents, la température, les échanges avec l’atmosphère… Tous ces éléments surveillés par des engins spatiaux révèlent aux chercheurs l’état de santé de la planète bleue et l’ampleur des gigantesques phénomènes qui s’y déroulent. À l’Université de Liège, la Dre Aida Alvera-Azcárate, du groupe de recherche GHER (GeoHydrodynamics and Environment Research), s’intéresse à la température et aux couleurs de l’océan. Cela la renseigne sur les changements qui s’y produisent.
Torrides tourbillons au large des Baléares
« Je viens de finir une collaboration sur les vastes tourbillons qui se créent dans la mer des Baléares, en Méditerranée », explique-t-elle. « Grâce aux données issues des satellites, nous avons pu étudier deux de ces événements récents qui ont été particulièrement longs. Ils ont duré entre deux et quatre mois ».
En isolant certaines masses d’eau, ces phénomènes ont un impact sur la circulation marine générale, mais aussi sur les écosystèmes. Dans le cas de cette étude, il ressort que ces tourbillons ont également engendré des hausses de température de l’ordre de 2,5 degrés. « À l’échelle de l’océan, on peut quasiment parler de vagues de chaleur », estime l’océanologue.
Printemps précoce en mer du Nord
Plus près de nous, c’est la précocité du printemps en mer du Nord qui a été détectée. Dans une étude, également soutenue par Belspo, la Politique scientifique fédérale belge, via son programme STEREO, c’est un autre effet du réchauffement global qui a été cerné par la chercheuse.
Grâce aux observations de la chlorophylle en mer réalisées sur une période de plus de vingt ans, l’océanologue a pu montrer que les efflorescences (floraisons) printanières en mer ont lieu de plus en plus tôt. « Avec une différence d’environ un mois entre 1998 et 2020 », précise-t-elle.
C’est au départ de données satellitaires que la scientifique de l’ULiège a pu mener ces recherches. Elle exploite régulièrement les données provenant des satellites européens Sentinel 3 et Sentinel 6, gérés par EUMETSAT dans le cadre du programme européen Copernicus.
« Sentinel 3 dispose d’une série d’instruments qui nous renseignent sur l’altimétrie de l’océan, ses couleurs et sa teneur en chlorophylle et en sédiments, mais également sur sa température », précise la Dre Alvera-Azcárate. « Sentinel 6, baptisé Michael Freilich, assure lui la continuité des données altimétriques entamées avec les satellites Jason. Et ce, avec une grande précision. »
Des outils et des données à affiner en permanence
Si les instruments en orbite offrent de vastes moissons de données, encore faut-il que celles-ci soient les plus pertinentes possible pour les scientifiques. Aida Alvera-Azcárate s’intéresse donc aussi à la manière d’améliorer la qualité de ces données satellitaires. «Par exemple, en tentant d’éliminer certaines perturbations, comme l’ombre des nuages sur la mer qui peuvent donner lieu à de mauvaises interprétations de ce qui est vu par les satellites », dit-elle.
Un casse-tête, d’autant que les ombres des nuages sont souvent difficiles à différencier des valeurs non ombragées. Elles présentent des caractéristiques spectrales similaires à celles des pixels de l’eau.
À Bruxelles, la Pre Véronique Dehant (Observatoire Royal de Belgique) pointe un autre enjeu lié à l’amélioration des outils spatiaux: la précision de leur localisation. « Quand on parle de la hausse du niveau des mers, on parle d’altimétrie », explique la responsable de la direction « Systèmes de référence et planétologie » de l’Observatoire.
Améliorer la précision de la localisation des satellites
« En ce qui concerne les satellites d’altimétrie, il y a moyen d’améliorer leurs performances, mais cela nécessite de penser autrement les techniques qu’ils utilisent pour être eux-mêmes localisés».
Si on souhaite observer le niveau moyen des mers au millimètre près, il faut logiquement améliorer les repères de référence à ce niveau au moins. Une résolution des Nations Unies (A/RES/69/266) le recommande d’ailleurs.
« Pour atteindre cet objectif, il faut changer de méthode. Et donc tester une nouvelle technologie. C’est ce que nous proposons, avec la mission Genesis, qui permettrait d’améliorer et d’homogénéiser les références temporelles et spatiales sur Terre jusqu’au dixième de millimètre », indique la mathématicienne.
S’affranchir de repères terrestres
Comment? En « co-localisant » dans un même satellite toutes les mesures de géodésie spatiale: à savoir le système mondial de navigation par satellite (GPS/GNSS), la télémétrie laser par satellite (SLR), l’interférométrie à très grande base (VLBI) et l’orbitographie Doppler et le positionnement radio intégré par Satellite (DORIS).
« Imaginons qu’on veuille connaître le niveau moyen des mers et son évolution. On utilise un satellite altimétrique comme Jason », indique Véronique Dehant.
« On mesure le niveau de la mer par rapport à ce satellite. Il faut donc, bien sûr, connaître la position de ce satellite avec la même précision. Pour ce faire, on utilise le GNSS. Mais le GNSS n’est pas une technique qui permet une telle précision en absolu. Une mesure GNSS permet du positionnement par rapport à des satellites GPS ou Galileo qui sont eux-mêmes positionnés via des observations réalisées depuis la Terre, qui, elle-même,… se déforme continuellement. Cela ne permet donc jamais d’obtenir une position absolue dans l’espace. »
De Mars à la Terre: une nouvelle application pour l’instrument LaRa
« La seule méthode qui permette de faire du positionnement dans l’espace, c’est le VLBI (Very Long Baseline interferometry). Avec cette technique, on mesure des positions sur Terre par rapport aux quasars, qui sont des objets tellement éloignés dans l’Univers qu’ils n’ont quasi pas de mouvement propre. Ce sont donc des sortes de balises figées dans le ciel. Elles seules peuvent nous permettre de nous positionner avec une plus grande précision sur Terre », dit-elle.
Une technologie complémentaire pour utiliser ce concept est nécessaire. Il faut passer par un instrument spécifique à installer sur les satellites. C’est là que le savoir-faire des scientifiques belges entre en scène.
L’instrument LaRa, développé à l’Observatoire royal de Belgique pour l’étude de la planète Mars peut être en partie adapté à ce type de boulot. Il ne reste plus qu’à le construire et à le tester en orbite. C’est précisément le cœur de la mission Genesis, supportée par Véronique Dehant et son collègue à l’Observatoire, le Dr Ozgür Karatekin. Un industriel belge impliqué dans LaRa (Antwerp Space), serait tout indiqué pour le réaliser.
Il ne reste qu’à donner le feu vert à cette ambitieuse mission scientifique à la finalité ultime très appliquée. Avec, à la clé, un nouvel outil spatial qui devrait, à terme, pouvoir prendre place sur tous les satellites européens Galileo (de positionnement) de seconde génération. La mesure ultra précise de la surface de la Terre basée sur l’espace profond… une nouvelle spécialité belge? Pourquoi pas!