Des épisodes de fonte rapide de la banquise arctique sont à prévoir

19 octobre 2022
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Tel un organisme qui respire, une partie des glaces qui recouvre le pôle Nord fond chaque printemps, avant de se reconstituer en hiver. Un phénomène saisonnier qui fluctue habituellement au cours du temps, avec des années où la fonte reste limitée, et d’autres où elle est plus importante. Néanmoins, ces dernières décennies, la superficie de glace de mer (la banquise) demeurant à la fin de l’été tend à se réduire de plus en plus. Les modèles de projections climatiques estiment ainsi que, dès 2050, la banquise disparaîtra totalement durant la saison chaude.

Plus inquiétant, ces mêmes modèles suggèrent que l’on pourrait enregistrer, à l’avenir, plusieurs années record consécutives. Aussi, en l’espace de deux, trois, parfois cinq ans, la banquise pourrait perdre l’équivalent de trente ans de fonte. C’est ce qu’on appelle des « événements de fonte rapide ».

Anticiper ce phénomène sera l’objectif du projet ArcticWATCH mené par François Massonnet, chercheur qualifié FNRS au Centre de recherche sur la Terre et climat Georges Lemaître de l’Université catholique de Louvain, qui a reçu le soutien du Conseil européen de la Recherche via une bourse ERC Starting Grant.

Carte montrant l’évolution de la banquise depuis 1981 © NASA

Une banquise qui se réduit comme peau de chagrin

« Les régions polaires – l’Arctique, au nord, et l’Antarctique, au sud – sont touchées de plein fouet par le réchauffement du système climatique. L’Arctique, en particulier, se réchauffe trois à quatre fois plus vite que la moyenne du globe », rappelle le Pr Massonnet.

Les modèles climatiques prévoient des événements de fonte rapide dans les années à venir © François Massonnet

De fait, par l’augmentation des températures, le processus de fonte annuelle s’enclenche de plus en plus tôt, et la superficie de banquise perdue durant l’été est de plus en plus grande. La glace de couleur blanche laissant place à de l’eau bleu foncé, la région réfléchit moins la lumière du soleil, et absorbe plus de chaleur. Ce qui aggrave encore l’augmentation de la température, et donc la fonte de glace.

D’après le dernier rapport du GIEC, la surface annuelle moyenne de glace de mer dans l’Arctique entre 2011 et 2020 a atteint son niveau le plus bas depuis au moins 1855. Et des records en termes de minimum annuel ont été relevés en septembre 2007 et 2012.

L’évolution du volume de glace de mer de 1979 à 2016 est à visionner ici.

Les circulations atmosphériques et océaniques impactées

Si aucun épisode de fonte rapide semblable à ceux prévus par les modèles n’a, pour le moment, été constaté en Arctique, les scientifiques savent déjà que les conséquences d’un tel événement dépasseraient largement l’échelle locale.

« Les courants océaniques pourraient notamment être perturbés. Un apport brusque et important d’eau douce dans l’océan Arctique pourrait ralentir à long terme l’AMOC (la circulation méridienne de retournement Atlantique), qui transporte l’eau de surface chaude de l’équateur vers le nord, et inversement », explique le climatologue. Un tel ralentissement conduirait alors à une baisse des températures des eaux de surface en Europe, et donc à une baisse des températures de l’air au niveau régional, dans un contexte de réchauffement global.

« De nombreuses études font aussi l’hypothèse qu’une réduction importante de la banquise en été peut avoir des conséquences sur le jet-stream de l’hémisphère nord». Ce courant d’air rapide, situé à quelque 10 kilomètres d’altitude, empêche les masses d’air chaud de l’équateur de pénétrer dans l’Arctique, et l’air polaire de se déplacer au sud. Mais le réchauffement de l’Arctique a pour effet d’augmenter l’amplitude des oscillations du jet-stream. « Ce qui amène l’air polaire à circuler loin vers le sud. Avec des intrusions potentielles d’air arctique sur nos régions », ajoute-t-il.

Circulation du jet stream de l’hémisphère nord © National Oceanic and Atmospheric Administration

Anticiper les changements climatiques à court terme

Être capable de se préparer aux conséquences de ces possibles événements de fonte rapide est tout l’intérêt du projet ArticWATCH. « Si l’on parvenait à prévoir qu’il y a « x » pourcents de risque que la banquise connaisse un événement de fonte extrême dans un avenir proche, avec des effets à court terme sur le climat européen, on pourrait alerter les preneurs de décisions, qui pourraient à leur tour prendre des mesures pour, par exemple, garantir l’approvisionnement énergétique des pays européens. »

La superficie de la banquise en août de 1979 à 2022 montre une baisse de 10,1 % par décennie © National Snow and Ice Data Center

Dès janvier 2023, l’équipe du Pr Massonnet – en collaboration avec le National Center for Atmospheric Research (Etats-Unis) et le Barcelona Supercomputing Center (Espagne) – s’attellera à construire un système intégré et anticipatif d’alerte. Les scientifiques chercheront notamment à améliorer le modèle climatique EC Earth développé par un consortium européen (dont fait partie l’UCLouvain), afin qu’il puisse prédire ce type d’événement.

« En parallèle, on va aussi s’intéresser à d’autres outils de prévision, comme l’apprentissage automatique ». Cette approche permet aux ordinateurs d’« apprendre » et d’élaborer des scénarios (ici, climatiques) à partir de données fournies par les chercheurs. « Notre objectif final sera de fournir chaque année, en juin, un indice sur le risque de perte rapide de banquise pour les cinq années à venir. Par ce projet, on essaie de prévoir le climat sur une échelle de temps court, sur laquelle la communauté scientifique a encore peu de capacité de prévision », conclut le Pr Massonnet.

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