Muriel Collart rappelle qu’en 1792, l’académicien Théodore Mann écrivait que «la Terre subit un réchauffement climatique général et irréversible». Dans «Théodore Mann, savoir et pouvoir», la collaboratrice scientifique à l’Université libre de Bruxelles (ULB) retrace la carrière et les travaux du secrétaire perpétuel de l’Académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Devenue l’Académie royale de Belgique.
Au fil du temps, l’auteur du «Mémoire sur le changement successif de la température et du terroir des climats, avec des recherches sur les causes de ce changement» établit des relations scientifiques avec d’autres sociétés de savoir en Europe et aux États-Unis d’Amérique. Théodore Mann s’intéresse notamment à la biodiversité en danger en mer du Nord, aux marées maritimes et aériennes, à la gestion de l’eau. Aux moyens d’augmenter la population humaine dans les Pays-Bas autrichiens avant la mise en garde de l’économiste Thomas Malthus contre l’accroissement de la population mondiale.
Près de 13 siècles d’observations
Chargée, de 2007 à 2010, par l’ULiège d’indexer «L’Esprit des Journaux», créé à Liège en 1772, Muriel Collart découvre que le périodique se fait l’écho des «Mémoires sur les grandes gelées» de Théodore-Augustin Mann, connu sous le nom d’abbé Mann. Depuis lors, l’œuvre de l’écrivain voyageur, naturaliste et historien anglais est devenue l’un des principaux objets des travaux de la chercheuse qui les poursuit à l’ULB.
En 1792, le Gantois Pierre François de Goesin imprime les «Mémoires sur les grandes gelées et leurs effets; où l’on essaie de déterminer, ce qu’il faut croire de leurs retours périodiques, et de la gradation en plus ou moins du froid de notre globe», signés par «l’abbé Mann». Une des parties du volume s’intitule «Mémoire sur le changement successif de la température et du terroir des climats».
«Un mémoire qui prend la forme d’une série événementielle hivernale s’étendant sur près de 13 siècles», raconte la chercheuse en climatologie et en agriculture. «Une série d’observations sur les effets du froid rigoureux de 1788-1789 sur les végétaux, et un recueil de données sur l’orage du 13 juillet 1788 sollicitées par Mann à la demande de l’Académie royale des sciences de Paris. Ces quatre contributions ont été lues au cours des séances de l’Académie de Bruxelles entre 1777 et 1792.»
Sécheresse et chaleur
Théodore Mann soutient que le climat subit un réchauffement. Il écrit qu’on voit «que tous les monuments historiques et physiques tendent à prouver que la Terre où nous habitons, d’un état très humide et froid en raison des régions, passe insensiblement, mais très distinctement après une suite de siècles, à l’état opposé de sécheresse et de chaleur, qui ne cessent de gagner le dessus.»
«Mann base son hypothèse sur la variation des phénomènes atmosphériques relevés dans une même région à des époques différentes», explique la conférencière au Collège Belgique. «Afin d’augmenter la fiabilité de ces descriptions, il prend l’option d’utiliser majoritairement les textes originaux. C’est-à-dire les écrits émanant d’auteurs témoins ou contemporains des phénomènes. Et non les compilations.»
La période étudiée par l’historien du climat s’étend du IVe siècle avant notre ère au IVe siècle de notre ère. En Gaules, Germanie, Roumanie, Bulgarie, Grèce, Turquie, Serbie, Hongrie, Croatie, Slovaquie, Russie, Ukraine. Et la partie de l’Europe située entre le 44e et le 50e degré de latitude. Il y a 2.000 ans.
Déforestation, défrichement, assèchement
Théodore Mann relève que le changement climatique s’observe également au nord et au sud de ces latitudes. Des pays, comme l’Islande ou la Norvège, autrefois désertés ou supposés l’être, sont habitables et habités. Dans les pays méditerranéens, le sol riche et fertile est «à présent très pierreux et brûlé de sécheresse».
Dans la seconde partie de son mémoire, «Causes physiques du changement graduel du terroir et de la température des climats», l‘académicien apparaît comme un précurseur de la recherche des causes et des effets du changement du climat. Déforestation, défrichement, assèchement des marais et des étangs… Mann anticipe les discussions scientifiques actuelles sur l’évolution climatique.
Muriel Collart conclut ce chapitre en évoquant le débat tenu en 2010 à l’Académie, dans l’institution où, 220 ans plus tôt, Mann défendait son hypothèse. Un contributeur du quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) y présentait la position majoritaire. Imputer le réchauffement aux émissions de gaz à effet de serre résultant des activités humaines.