Soldats intoxiqués par le gaz moutarde lors de la Première Guerre mondiale © libre de droit

La Javel, un allié intéressant contre les armes chimiques de guerre

27 janvier 2023
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Flèches empoisonnées, fumées toxiques, chaux vives… De tout temps, les produits chimiques ont été utilisés lors des conflits armés. La Première Guerre mondiale s’est distinguée par un recours massif aux armes chimiques. C’est notamment durant ce conflit, à Ypres, qu’est répandu pour la première fois du gaz moutarde.

Depuis 1997 et la ratification de la Convention de Genève, leur emploi est interdit, et les arsenaux existants doivent être détruits, y compris les stocks anciens et abandonnés. Vingt-cinq ans plus tard, ce processus d’élimination est toujours en cours, y compris en Belgique, où des armes chimiques datant de la guerre 14-18 sont encore régulièrement retrouvées.

Dans ce cadre, une nouvelle solution efficace, sûre et rapide a récemment été mise au point par le laboratoire CiTOS (Center for Integrated Technology and Organic Synthesis) de l’ULiège pour neutraliser les munitions contenant du gaz moutarde.

Attaque au gaz pendant la Première Guerre mondiale ©
libre de droit

Des méthodes actuelles perfectibles

« La technique la plus radicale pour détruire les armes chimiques reste l’incinération à très haute température. Mais le transport jusqu’au site d’incinération n’est pas sans risques, de même que l’opération en elle-même », explique Jean-Christophe Monbaliu, professeur en chimie organique et directeur du laboratoire CiTOS.

Une autre méthode, permettant de détruire ces armes là où elles sont retrouvées, consiste à neutraliser la charge à l’aide d’un autre agent chimique. Dans le cas du gaz moutarde, les forces armées utilisent notamment de l’eau de Javel. « Mais ce procédé est lent, peu efficace, difficile à appliquer sur de gros stocks, et peut poser des soucis de corrosion sur les éléments métalliques. Ça fonctionne, mais ça présente des limites », souligne le chercheur.

La neutralisation à portée de tous

Depuis 2018, lui et son équipe cherchent à développer des solutions innovantes et concrètes pour neutraliser les molécules utilisées dans les armes chimiques.

« L’originalité de nos recherches est de fournir une solution qui soit la plus simple possible, et d’utiliser des composés bon marché, facilement trouvables. L’idée étant, qu’en cas de menace, n’importe qui puisse neutraliser ces armes ». De fait, le risque que des armes chimiques continuent à être produites, stockées et utilisées en toute illégalité, notamment en vue de réaliser un attentat, est réel.

« On se positionne de cette façon en rupture vis-à-vis de ce qui se voit dans la littérature. Les groupes de recherche développent souvent des catalyseurs extrêmement chers, ou qui reposent sur des métaux rares et/ou compliqués à préparer. »

Une eau de Javel optimisée

Une première piste imaginée par les chimistes liégeois pour neutraliser le gaz moutarde reposait sur une technologie d’oxydation basée sur la lumière et l’air. La machine imposait néanmoins d’avoir des LED de haute puissance, ce qui représentait un coût.

« Dans notre dernier projet de recherche, on a voulu proposer une solution encore plus simple, en développant une machine mobile et compacte qui permet de transformer la Javel en une version dite organique, qui va neutraliser de manière nettement plus efficace et rapide (en moins d’une minute) le gaz moutarde », indique le Pr Monbaliu.

Pour ce faire, le produit ménager est mélangé à de l’acide acétique (la principale composante du vinaigre) et à de l’alcool. La combinaison des trois enclenche une réaction quasi-instantanée qui va convertir l’eau de Javel en Javel organique. Par la suite, la machine va mélanger cette nouvelle solution au gaz moutarde, et ainsi le neutraliser. « L’avantage de cette technologie est qu’elle peut être utilisée pour des quantités importantes de gaz. »

Focus sur le VX, la plus mortelle des armes chimiques

Actuellement, cette solution n’a été testée qu’en laboratoire, et seulement sur des molécules simulant le gaz moutarde. Personne n’est, en effet, autorisé à acheter ou manipuler des armes chimiques, même à des fins de recherche.

« Pour le gaz moutarde, on utilise une hémi-moutarde, c’est-à-dire avec un atome de chlore en moins. Un composé qui peut être acheté librement, et qui garde des propriétés assez proches du gaz moutarde ». En parallèle, des expériences avec le réel agent chimique ont été simulées à l’aide de logiciels informatiques spécifiques.

A l’avenir, les scientifiques espèrent voir un développement industriel de leurs technologies de neutralisation. Pour l’heure, les chercheurs poursuivent leurs travaux sur ces agents chimiques de guerre, en particulier sur les composés organophosphorés, comme le VX. Cet agent neurotoxique, létal à très faible dose, est considéré comme l’un des poisons les plus mortels au monde.

Haut depage