Les émissions de gaz à effet de serre des lacs africains sous la loupe

27 mars 2023
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Jusqu’alors, seules les émissions de gaz à effet de serre des quelques lacs nord-américains et scandinaves avaient été mesurées. C’est bien peu au regard des plus de 1.500.000 lacs que compte la planète. Et pourtant, c’est à partir des données de cette poignée de lacs boréaux qu’ont été extrapolées les émissions de gaz à effet de serre de tous les lacs, de l’Equateur aux pôles. Or, les lacs tropicaux africains ont un comportement très différent de celui des lacs boréaux. C’est ce que démontrent les travaux d’Alberto Borges, directeur de recherche FNRS à l’Unité de recherche FOCUS de l’ULiège.

Pendant plus de 10 ans, au cours de 17 expéditions de terrain, financées par 2 projets BELSPO (EAGLES et HIPE) et 5 projets FNRS (TRANS-CONGO, LAVIGAS, TANGAGAS, KYBALGAS, MAITURIK, il a patiemment mesuré et analysé les émissions de gaz à effet de serre de 24 lacs africains, dont les plus grands du Rift africain : Victoria, Tanganyika, Albert, Kivu et Edouard.

Puits de CO2 photosynthétiques

Résultats ? « Les micro-algues qui composent le phytoplancton sont très friandes des conditions chaudes et lumineuses de l’été tropical sans fin. Certains des lacs africains que nous avons étudiés sont extrêmement productifs. Et grâce à la photosynthèse, le phytoplancton élimine le CO2 de l’eau. Par conséquent, ces lacs séquestrent le CO2 sous forme de matière organique qui finit par sédimenter », explique l’océanographe.

Les lacs africains étudiés agissent donc comme des puits de carbone. C’est une information capitale,car, jusqu’à présent, la communauté scientifique supposait qu’ils émettaient du CO2 en très grande quantité dans l’atmosphère comme le font les lacs boréaux.

« En effet, en raison des conditions plus froides et moins lumineuses, très peu de phytoplanctons se développent dans les lacs boréaux. Ceux-ci se limitent à composter les déchets végétaux de la forêt environnante, et ne peuvent de facto pas jouer le rôle de puits de carbone comme le font les lacs africains », poursuit-il.

Des archées émettrices de CH4

Mais, il y a un mais. Les conditions tropicales chaudes, si elles favorisent la séquestration du carbone dans les lacs, favorisent également le développement des archées. Il s’agit de micro-organismes produisant du méthane (CH4), un puissant gaz à effet de serre avec un pouvoir de réchauffement plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone.

«Les archées apprécient particulièrement se nourrir du phytoplancton qui coule au fond des lacs tropicaux. Il en résulte que les concentrations de méthane sont beaucoup plus élevées dans les lacs africains que dans les lacs boréaux. Et que ce qui est “gagné” dans les lacs tropicaux par la séquestration du CO2 est “perdu” par les émissions accrues de CH4. »

« Le réchauffement futur des lacs tropicaux pourrait entraîner une augmentation des émissions de CH4 dans l’atmosphère. C’est un phénomène à surveiller », alerte le Pr Borges.

L’importance de la profondeur et de la couleur

A noter encore que la situation est hétérogène. En effet, parmi les 24 lacs étudiés par l’océanographe et son équipe, les teneurs en CO2 et en CH4 varient en fonction de leur profondeur et de leur couleur.

« Dans les lacs peu profonds, les eaux de surface reçoivent la lumière solaire nécessaire à la photosynthèse tout en étant au contact direct des sédiments. Ceux-ci fournissent des nutriments azotés et phosphorés, contribuant à créer des conditions de croissance optimales des archées. »

« Dès lors, le plus superficiel des lacs africains échantillonnés abritait la plus grande biomasse de phytoplancton, et donc les plus faibles concentrations de CO2 et les plus fortes concentrations de CH4. »

Par ailleurs, les forêts tropicales au sol riche bordant les lacs africains amènent à ceux-ci des substances humiques. De couleur brune, ces dernières absorbent la lumière et empêchent le développement du phytoplancton. « À l’inverse, les lacs entourés de savane dans les régions plus arides d’Afrique en contiennent bien moins. Leurs eaux plus claires permettent la croissance du phytoplancton, et donc séquestrent davantage de CO2. »

25 fois moins de CO2

La compréhension des mécanismes sous-jacents à la production de CO2 et de CH4 par les lacs en fonction de leur profondeur et de la couverture végétale environnante a permis une extrapolation statistique de quelque 72.500 lacs tropicaux dans le monde, en se basant sur leurs données spatiales.

« Les études antérieures supposaient que les lacs tropicaux émettaient jusqu’à 1600 mégatonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 40% des émissions mondiales de CO2 liées à la déforestation ou les émissions cumulées de CO2 de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la France et de l’Italie. Notre recherche suggère que les lacs tropicaux émettent en fait du CO2 à un taux 25 fois inférieur », conclut Pr Alberto Borges.

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