Des organoïdes thyroïdiens humains fonctionnels créés à partir de cellules souches pluripotentes. Voilà ce que sont parvenus à générer in vitro, la Dre Mirian Romitti et ses collègues de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en Biologie Humaine et moléculaire (IRIBHM – ULB). Après des transplantations réussies chez la souris hypothyroïdienne, couronnées par le rétablissement d’une production adéquate d’hormones thyroïdiennes, l’espoir est grand d’aboutir à de nouvelles approches thérapeutiques chez l’humain.
Conséquences dramatiques
L’hypothyroïdie survient lorsque la glande thyroïde ne fabrique pas suffisamment d’hormones thyroïdiennes (T4 et T3).
« Comme les hormones thyroïdiennes régulent de nombreux processus physiologiques impliqués dans la croissance et le métabolisme, les premiers symptômes de l’hypothyroïdie sont généralement la fatigue et la prise de poids. Mais à mesure que le métabolisme continue à ralentir, d’autres symptômes peuvent apparaître, tels que : une plus grande sensibilité au froid, la constipation, une peau sèche, des faiblesses et des douleurs musculaires, des altérations des cycles menstruels, des cheveux clairsemés, un ralentissement du rythme cardiaque, la dépression, des problèmes de mémoire, entre autres », explique Dre Romitti.
Chez le nouveau-né, l’hypothyroïdie congénitale est l’anomalie endocrinienne la plus courante. Or, un apport insuffisant d’hormones thyroïdiennes au début de la vie entraînera un retard intellectuel et de développement irréversible. Chez l’adulte, l’hypothyroïdie peut être congénitale ou causée par une ablation de la glande suite à un cancer, par exemple. Dans tous les cas, elle nécessite un supplément en hormones thyroïdiennes synthétiques tout au long de la vie.
Dosage fluctuant selon la période de vie
Or, la quantité adéquate d’hormones thyroïdiennes nécessaires varie en fonction de la croissance, lors de la puberté et d’une grossesse.
Cette fluctuation n’est pas facile à appréhender par le corps médical. Et parfois, la réactualisation du traitement avec l nouveau dosage est complexe à faire accepter, notamment chez les adolescents.
La transplantation d’un organoïde thyroïdien fonctionnel normalement régulé ajusterait l’apport d’hormones thyroïdiennes en fonction de la demande physiologique, évitant les conséquences irréversibles d’un apport mal coordonné. Un organoïde est une version miniature et simplifiée d’un organe, fabriquée in vitro en trois dimensions.
Thyroïde fonctionnelle à partir de cellules souches humaines
Ces organoïdes thyroïdiens humains fonctionnels, Dre Mirian Romitti et ses collègues de l’IRIBHM sont parvenus à les générer à partir de cellules souches pluripotentes.
« La thyroïde n’est pas un organe simple à créer in vitro. Pour y parvenir, nous avons modifié le génome des cellules souches embryonnaires humaines afin d’y induire des facteurs importants pour le développement de la thyroïde », explique Dre Romitti, chercheuse post-doctorale au sein du laboratoire de Sabine Costagliola.
« Après avoir identifié les précurseurs des cellules thyroïdiennes, nous avons utilisé plusieurs traitements connus pour rendre la thyroïde fonctionnelle, comme la TSH (principale hormone régulatrice de la thyroïde, qui aide à garantir le bon équilibre en hormones thyroïdiennes dans le sang, NDLR) et les composés anti-inflammatoires. Etant donné que la production d’hormones thyroïdiennes dépend des structures folliculaires, l’ensemble du protocole se déroule en culture 3D. » Soit dans un environnement artificiel dans lequel les cellules sont capables de se développer et d’interagir dans les 3 dimensions. Ces conditions sont similaires à celles qui existeraient in vivo. »
De la souris à l’homme
Ces « mini-thyroïdes » produites en boite de Pétri s’avèrent capables de produire des hormones thyroïdiennes in vitro. De plus, transplantées dans des souris hypothyroïdiennes, ces organoïdes rétablissent la production d’hormones thyroïdiennes, corrigeant ainsi la carence en hormones de ces animaux.
Quand pouvons-nous espérer un essai sur l’homme ? « Les transplantations en général sont confrontées à de grands défis, principalement à cause des réactions immunitaires. Pour limiter le risque de rejet du greffon, des alternatives peuvent être utilisées, comme générer des organoïdes thyroïdiens au départ de cellules souches pluripotentes dérivées de patients (iPSC). Et nous y travaillons. Des cellules de la peau (fibroblastes), du sang et d’autres sources sont reprogrammées pour devenir des cellules souches, et ensuite se différencier en tissu thyroïdien », poursuit Dre Romitti.
« En outre, le nombre de cellules nécessaires pour remplacer un organe humain ou une partie de celui-ci doit être défini avec précision et de nouvelles méthodes de production à grande échelle devront être appliquées. Dans notre cas, puisque les cellules ont été génétiquement modifiées pour générer la thyroïde, le protocole doit être adapté pour convenir aux futurs essais de transplantation chez l’homme. C’est ce que nous faisons, en adaptant le protocole pour obtenir un modèle plus applicable sur le plan thérapeutique. »
Vers moins d’essais cliniques sur animaux
« En parallèle, en utilisant ce modèle humain, nous générons des outils pour étudier les origines de l’hypothyroïdie et créer des organoïdes à partir de cellules cancéreuses thyroïdiennes pour faciliter le développement et le criblage de médicaments », précise la chercheuse.
Par ailleurs, les organoïdes thyroïdiens murins et humains sont de puissants outils pour le criblage d’un grand nombre de composés chimiques. Ainsi, « ils sont d’ores et déjà utilisés pour étudier les effets toxiques de perturbateurs endocriniens dans le cadre du projet Screened (projet Horizon 2020). »
L’utilisation d’organoïdes thyroïdiens pourrait-elle réduire la nécessité d’effectuer des tests sur des animaux de laboratoire ? « Ils peuvent, en effet, réduire le nombre d’animaux utilisés pour les tests et le dépistage de la toxicité potentielle d’un grand nombre de composés. Cependant, pour l’étude des effets systémiques des composés identifiés comme toxiques, les animaux sont encore la seule alternative pour évaluer la réaction des différents organes et l’interconnexion des effets toxiques », conclut Dre Romitti.