« Le sexe masculin résulte chez l’Homme, comme chez les mammifères en général, d’une masculinisation du sexe féminin, et non l’inverse », assène Jacques Balthazart, neuroendocrinologue du comportement. Chercheur émérite au sein du GIGA Neurosciences de l’université de Liège, il publie « Cerveau féminin, cerveau masculin », aux éditions Alpha, un ouvrage qui rassemble les connaissances sur la différentiation sexuelle chez les mammifères, en particulier chez l’humain.
Une différenciation sexuelle en cascade
Une cascade d’effets produit des individus sexuellement différenciés. Le sexe génétique (XX et XY) induit le sexe gonadique (ovaire ou testicule). Celui-ci induit le sexe hormonal (soit les hormones libérées à la période critique), lequel aboutit au sexe phénotypique.
« Le grand nombre d’étapes explique pourquoi le dernier stade, le sexe phénotypique (autrement dit les caractères extérieurs de la différenciation sexuelle : pénis, scrotum, bois du cerf, queue du paon, crête du coq chez le mâle ; mais aussi l’orientation sexuelle et le comportement sexuel) peut parfois, en particulier chez le mâle, ne pas correspondre au sexe génétique », explique Pr Balthazart.
Les femelles se caractérisent par des chromosomes sexuels XX, les mâles par une paire XY. Le chromosome Y porte un gène (dénommé SRY, pour Sex-determining region of Y chromosome) qui code pour une protéine (TDF, pour Testis determinating factor) essentielle au développement de l’embryon mâle. C’est sous l’action de cette protéine que la gonade embryonnaire se différencie en testicule. En son absence, elle formera un ovaire.
Par exemple, « une mutation du gène SRY empêchant la production de protéine TDF donne un individu de phénotype femelle, mais porteur du sexe génétique mâle. »
Le rôle clé des hormones
« Le sexe masculin apparaît sous l’action active de SRY, puis de la testostérone. En effet, sans testostérone, le bourgeon génital forme un clitoris et les replis génitaux, une vulve », poursuit le neuroendocrinologue.
La testostérone est une hormone stéroïde. C’est également le cas de l’œstradiol, la progestérone, l’aldostérone et le cortisol, autres molécules clés de la différenciation sexuelle.
Ces hormones voyagent dans le corps en empruntant la circulation sanguine. Pour agir, elles doivent se lier à des récepteurs (des protéines), selon un système clé-serrure.
« Ces récepteurs sont à 95 % exactement les mêmes chez l’humain et le rat. Et ces récepteurs sont présents aux mêmes endroits dans leur cerveau. C’est un bon indice de similarité de fonctionnement.»
« Il est plus difficile d’aboutir à des certitudes chez l’Homme que chez l’animal, car nous ne disposons pas de la même panoplie d’expériences possibles. La plupart d’entre elles sont irréalisables chez l’Homme pour des raisons éthiques. Nombre de nos connaissances dépendent donc d’inférences fondées à partir d’études animales ou de données seulement corrélatives établies chez l’Homme. Néanmoins, tout porte à croire que les mécanismes démontrés chez l’animal sont valables dans une large mesure pour l’espèce humaine », dit le Pr Balthazart.
L’Eve primordiale
La présence de testostérone à des stades critiques du développement de l’embryon a des effets, irréversibles, qui se prolongent durant toute la vie de l’individu et le déterminent profondément.
Tout d’abord, chez l’humain, au bout du deuxième mois de grossesse, un pic de testostérone induit la différenciation génitale, et donc le sexe biologique.
Ensuite, « chez le rat mâle, les testicules embryonnaires sécrètent un pic de testostérone pendant les deux semaines qui entourent la naissance. Chez l’Homme, il dure de un à quatre mois après la naissance, et est appelé la mini-puberté néonatale. »
« D’une part, ce pic de testostérone masculinise le cerveau. C’est-à-dire qu’il le rend capable de répondre plus tard à la testostérone que produiront les testicules devenus adultes, et de réaliser en réaction des comportements sexuels de type mâle. D’autre part, cet afflux de testostérone pré- et postnatal ‘déféminise’ le cerveau, le rendant incapable de produire des comportements de type femelle, par exemple à sécréter le pic d’hormone lutéinisante, déclencheur de l’ovulation », explique le neuroendocrinologue.
« Car oui, le cerveau fondamental, le cerveau premier, c’est le cerveau femelle. N’en déplaise aux théologiens, la femelle n’est pas un mâle auquel on aurait retranché quoi que ce soit. C’est même le contraire : le mâle est une femelle modifiée, car exposé à la testostérone au stade embryonnaire. Cela est bien documenté et mis en lumière par des expériences sophistiquées », conclut le Pr Balthazart.