Série (2/2) Discussion avec un médaillé Fields
Une médaille Fields, c’est un peu comme un Prix Nobel. Quand on bénéficie d’une telle reconnaissance, on est énormément sollicité. Depuis l’été dernier, Hugo Duminil-Copin, médaillé Fields 2022, ne cesse d’en faire l’expérience. Il met notamment son énergie dans des actions de communication sur les sciences et les mathématiques. Une de ses priorités concerne l’image des mathématiques et leur perception.
Les maths, souffriraient-elles donc d’une image tellement rebutante, notamment auprès des jeunes ?« Je ne suis pas certain que les jeunes n’aiment pas les mathématiques », dit-il. « Une étude récente en France montrait que les maths étaient la deuxième matière préférée des jeunes de 10 à 15 ans après le sport. Par contre, les mathématiques servent trop souvent d’étalon pour fixer l’accès à diverses formations. Y compris des formations supérieures où elles ne sont pas nécessairement centrales. Je pense à la médecine ou à des matières scientifiques qui ne seraient pas grandes consommatrices de mathématiques, comme la biologie. Les mathématiques se retrouvent donc cantonnées à un rôle d’outil de sélection. C’est une erreur. On perd ainsi le côté plaisant de faire des mathématiques. Si les enfants n’ont pas accès à ces aspects ludiques, ils se retrouvent à détester les maths. Et cela, c’est dommageable. Il faut arriver à faire sortir les mathématiques de ce rôle d’évaluation. »
Ne pas diaboliser l’erreur
Le mathématicien pointe aussi un autre problème dans l’imaginaire collectif concernant sa discipline : la place de l’erreur. « La place de l’erreur est devenue complètement castratrice dans l’enseignement des mathématiques », estime-t-il. « Il est important de combattre cette vision des mathématiques comme quelque chose où l’erreur est sacralisée et catastrophique. Dans mon travail de recherche, au quotidien, j’enchaîne erreur sur erreur. Face à un problème, je ne trouve pas tout de suite la solution. Or, l’erreur est productrice de créativité. On ne peut pas être créatif sans faire des erreurs. C’est comme un jeune enfant qui apprend à marcher. Il se lève fait un pas, tombe… Mais il recommence, il réessaie, encore et encore. Et, au final, il comprend et marche. »
« Notre cerveau fait que l’on apprend par essai et erreur. Les mathématiques n’échappent pas à cette règle. Ce n’est pas une façon de penser différente, qui échapperait aux bassesses de l’esprit humain. Non, c’est une connaissance comme les autres. Une façon de fonctionner de notre cerveau qui ressemble à toutes les autres façons de créer et de penser. Les personnes qui apprennent le mieux sont celles qui osent se lancer, qui tombent et qui se relèvent. »
Le bénéfice des travaux de groupes
Comment rectifier le tir ? Hugo Duminil-Copin a une recette : le travail collectif.
« Dans le processus d’apprentissage, il faut éveiller la curiosité. Cela autorise les erreurs. Cela permet de ne pas être parfait du premier coup. Les enseignants font des efforts dans ce sens. Mais les programmes d’enseignement suivent-ils cette dynamique ? C’est moins clair. Un point important dans ce contexte, c’est le travail en groupe. Les mathématiques s’y prêtent très bien. On se fait toujours mieux expliquer quelque chose en mathématiques par quelqu’un qui vient de comprendre plutôt que par quelqu’un qui maîtrise le concept depuis des années. »
« Quand on fait un travail de groupe, la première personne qui va comprendre va en général tirer les autres vers le haut. Elle aura fait les mêmes erreurs que celles sur lesquelles les autres sont encore bloqués. La première personne qui a compris va donc pouvoir expliquer la solution aux autres, mais aussi leur expliquer où et pourquoi ils commettent des erreurs. »
Comme une sculpture
« Enfin, il faut aussi se garder d’enseigner les mathématiques pour les mathématiques. Faisons un parallèle avec une autre matière scolaire : la langue, le français. Il y a peu de gens qui aiment le français pour le français, pour la dictée, pour les règles d’orthographe, pour les règles de grammaire. Le plaisir est ailleurs. C’est parce qu’on fait de la lecture, qu’on échange sur des textes qu’on a lus et appréciés et qu’on les partage avec les autres que la langue est belle. Pour les mathématiques, cela devrait être la même chose. »
« On enseigne encore trop les mathématiques comme un outil, pas comme une discipline qui a une valeur en soi. On est tombé dans un piège qui est presque sociétal. On nous apprend à répéter les choses plutôt qu’à les découvrir. On apprend à refaire. Ainsi, on apprend à faire une division puis on en fait 500. Bien sûr, les automatismes, c’est important. Cela fait partie de l’apprentissage. Mais l’automatisme doit venir après la découverte, pas avant. »
« Les mathématiques, c’est finalement comme une sculpture. On dégrossit, on coupe dans le lourd. On affine ensuite. On comprend. Pour pouvoir le faire, il faut oser dire des bêtises. C’est ainsi que sont nées la plupart des bonnes idées que j’ai eues dans ma vie de mathématicien.»