Ossements préhistoriques, momies égyptiennes et amérindiennes, squelettes gallo-romains, têtes réduites. Mais aussi dépouilles humaines violemment collectées lors de la présence coloniale de la Belgique en Afrique. Au minimum, pas moins de 30.000 individus humains sont actuellement conservés dans 56 collections de musées, d’universités et privées. A peine 250 d’entre eux ont été identifiés. Ces chiffres éloquents sont le fruit d’un travail d’enquête réalisé entre 2019 et 2022 dans le cadre du projet HOME (Human Remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation) financé à hauteur de 880.000 euros par la politique scientifique fédérale (BELSPO). Ses membres, ainsi que ceux du Comité consultatif de Bioéthique, prônent le rapatriement des collections coloniales de restes humains.
Enquête en réseau
HOME, projet multidisciplinaire, regroupe 4 institutions scientifiques fédérales: l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique (IRSNB), lequel possède les plus grandes collections anthropologiques en Belgique. L’Africa Museum, qui est à l’origine, de par son histoire, de la création d’une partie importante des collections d’origine coloniale. Les Musées royaux d’art et d’histoire (MRAH), possédant également des restes humains dans leurs collections. Et l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), qui a contribué au projet en tant qu’expert sur la problématique du rôle de l’identification génétique.
Trois universités ont également intégré ce réseau : l’Université libre de Bruxelles, possédant des collections anthropologiques et réalisant des recherches en médecine en anthropologie liée aux restes humains. L’Université Saint-Louis (UCLouvain), pour les aspects juridiques. Et l’Université de Montréal, avec ses nombreux chercheurs travaillant sur la valorisation scientifique des restes humains dans le contexte des Premières Nations.
Une définition large
Lorsque l’on évoque les « restes humains », de quoi parle-t-on exactement ? « Certains restes humains proviennent de fouilles archéologiques : ils sont très anciens et non-liés à un contexte culturel vivant. D’autres ont été collectés lors d’expéditions ou dans le cadre d’un contexte colonial », précise Patrick Semal, anthropologue, conservateur des collections d’anthropologie à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique et membre du projet HOME.
« D’autres encore sont des collections d’organes ou de pièces anatomiques, très utilisées par les universités pour la formation, notamment, des étudiants en médecine. Il y a également des reliques (instruments de musique et coiffes cérémonielles composés de restes humains, NDLR) que l’on peut retrouver dans différentes cultures où le reste humain se voit doté d’un contexte sacré supplémentaire. »
A peine 250 dépouilles identifiées
56 collections ont accepté de participer à l’enquête HOME. Une majorité (29) est installée dans des musées. Mais d’autres collections de restes humains se retrouvent dans les universités, les institutions scientifiques fédérales, d’autres appartenant à des musées privés, des hautes écoles, des ASBL.
La plupart, contenant de 1 à 9 restes humains, sont qualifiées de petite taille. Toutefois, 5 collections possèdent entre 2500 et 5000 restes humains, tandis que l’Institut Royal des Sciences naturelles en a plus de 5000.
Au total, au moins 30.000 individus ont été intégrés dans les collections privées et publiques de Belgique. Seuls 250 ont été identifiés. Dès lors, plus de 99 % des restes humains des collections des institutions belges sont des personnes dont on ignore l’identité.
Crânes et squelettes de RDC, du Rwanda et du Burundi
Concernant les restes historiques, pour la Belgique, la majorité des individus proviennent de Flandre (7069), 4379 de Wallonie et 1105 de Bruxelles.
« Il y a également une grande collection provenant de RDC : 315 crânes, 55 parties de squelette et 25 restes humains infra-crâniens. Une grande de cette collection a été constituée par l’Africa Museum avant d’être transférée à l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique fin des années 1960. »
139 crânes du Rwanda et 1 du Burundi sont également présents dans les collections.
Restitution des dépouilles
« Ces restes humains, détenus en Belgique, ont été acquis dans un contexte de violence et de domination qui était celui de la colonisation. Ce sont des restes qui ont été extorqués, des personnes ont été tuées. Certaines parties de leur corps, notamment les crânes, ont souvent été collectées dans le souci de justifier une pseudohiérarchie des races, donc avec un objectif totalement contestable », rappelle Philippe Lardinois, avocat et membre du Comité consultatif de Bioéthique.
Celui-ci a été saisi, en 2020, par trois institutions muséales – Africa Museum, MRAH et IRSNB -, d’une demande d’avis concernant le statut des restes humains conservés non seulement dans les collections muséales et scientifiques, mais également dans les collections privées. Dans son avis n°82, révélé le 29 mars 2023, le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique déclare que les restes humains acquis dans le contexte colonial doivent être restitués. “À partir du moment où il y a une demande de restitution, il faut restituer”, ajoute Philippe Lardinois. Encore faut-il qu’il y ait une demande de restitution. Le projet HOME en a comptabilisé moins d’une dizaine au cours des dernières décennies.
Les membres du projet HOME rejoignent les grandes lignes des recommandations émises par le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique. A savoir que ces restes humains doivent être traités avec respect, dignité et décence. Et qu’ils ont droit à une sépulture.
« Dès que le cadre législatif le permettra, le processus de rapatriements pourra commencer. Pour nous, cela ne se limite pas au retour des restes humains, mais doit s’inscrire dans un contexte plus large avec des recherches de provenance qui doivent continuer à être menées de manière collaborative entre la Belgique et les pays d’origine (martyrisés dans le contexte colonial, NDLR). Avec des commémorations et des projets de sensibilisation organisés tant en Belgique que dans les pays d’origine. Et ce, pour expliquer le contexte de la création de ces collections, leur signification, et l’importance du rapatriement. Celui-ci doit avoir un rôle dans la réconciliation entre les populations belges et celles des pays d’origine », conclut Patrick Semal.