Enseignant à la Louvain School of Management – UCLouvain, Nicolas Lambert publie «Le marketing peut-il sauver le monde?» aux éditions Racine. Le vécu de l’auteur, des schémas, des codes QR enrichissent cet essai.
L’ancien PDG de l’ONG Fairtrade Belgium, le label qui garantit un commerce équitable, explore les points de tension entre marketing et développement durable. Questionne les entreprises et les spécialistes des actions pour prévoir, stimuler les besoins des consommateurs. «Comment envisager le marketing différemment pour qu’il soit moteur d’un développement plus harmonieux de la société?», leur demande-t-il.
Selon Nicolas Lambert, «le marketing, s’il ose se remettre fondamentalement en question, peut être une des forces qui nous conduit vers un monde meilleur.»
Réfléchir sur les fondamentaux du marketing
«On adore clouer le marketing au pilori, mais on file acheter ses produits à la première occasion», observe l’ingénieur de gestion qui a commencé sa carrière dans des multinationales. «Je reste dans mon identité, un homme de marketing. À tel point que je l’enseigne depuis plus de 10 ans comme activité complémentaire. L’occasion de réfléchir aux fondamentaux de cette discipline. Et d’interpeller les étudiants sur ses aspects éthiques.»
Que reproche-t-on au marketing? «Simplement de nous faire consommer trop et de nous faire consommer mal. Trop pour les limites de la planète. Mal par l’impact des produits que nous consommons. Nous dévoyant de plaisirs plus simples et nous amenant à nous tuer au travail pour courir derrière des chimères.»
Le bien-être à long terme
En Belgique, 49,3% des adultes étaient en surpoids selon l’enquête 2018 de Sciensano. Pour l’animateur d’un groupe de réflexion à la Belgian Association of Marketing, «il y a donc une réelle responsabilité dans le chef des responsables du marketing pour savoir quels besoins on va remplir, voire stimuler. Et on arrive très vite à se poser des questions éthiques.»
«Le risque est de tomber dans les travers reprochés au marketing. À savoir une forme de stimulation des plus bas instincts humains dans le seul objectif d’augmenter les profits financiers à court terme. Il ne suffit pas de trouver un besoin à satisfaire, encore faut-il avoir en tête le bien-être à long terme des consommateurs. Cela induit une notion de jugement, forcément subjective. Mais ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas, au minimum, tenter d’y parvenir.»
Des portefeuilles sur pattes
Le «marketing bienveillant» s’oppose au «marketing prédateur» qui voit la clientèle comme «des portefeuilles sur pattes».
«J’ai travaillé dans deux brasseries», raconte Nicolas Lambert. «Dans l’une, il était formellement interdit aux vendeurs de proposer des verres de 25cl à la place des verres standards de 33cl. Or, les cafetiers belges étaient demandeurs et certains consommateurs aussi. D’autre part, d’un point de vue responsabilité sociétale, proposer une alternative qui permettait de consommer moins d’alcool avait tout son sens. Mais la crainte était que cela engendre une diminution du volume vendu. Voici un exemple de marketing prédateur, mettant en avant le seul bénéfice à court terme de l’entreprise par rapport aux besoins et au bien-être du consommateur.»
Chez Fairtrade… «Certains de nos partenaires historiques étaient animés d’une très forte motivation pour le développement durable, particulièrement la notion d’équité pour les producteurs agricoles. Ils avaient donc tendance à mettre fortement en avant ces notions dans le positionnement de leurs produits. Cela nous faisait très plaisir mais je leur disais parfois que les gens achetaient avant tout du café ou du chocolat, avant d’acheter de l’éthique. Le risque est de limiter l’appel de ces produits à une niche de consommateurs très avertis au niveau du développement durable… Et, par-là, de limiter leur impact réel sur la planète et les communautés.»
Réinventer le modèle économique
Selon une étude 2020 de Fairtrade Belgium, c’est le prix qui fait barrière à l’achat de plus d’aliments durables.
«D’où la nécessité d’avoir recours à l’artifice du commerce équitable», juge le consultant indépendant. «Phénomène malheureusement nécessaire, mais qui ne devrait pas exister si la valeur se distribuait équitablement, grâce à la main invisible du marché. Une question à se poser donc, dans le cadre d’un marketing bienveillant et durable, est de savoir si la valeur est justement distribuée entre l’entreprise, ses clients, ses fournisseurs… Et la planète!»
Nicolas Lambert conclut que «notre modèle économique est à bout de souffle. Et doit être réinventé pour devenir compatible avec les capacités de la planète et la soif de justice de ceux qui l’habitent».