L’intelligence artificielle, l’alliée de la médecine générale ?

20 septembre 2023
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Une photo prise par un smartphone peut désormais analyser la compatibilité d’un greffon de foie ou encore aider au diagnostic du cancer de la peau. Si l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) est répandue en médecine spécialisée, il en est tout autre en médecine générale, bien qu’elle s’ouvre peu à peu à cette technologie émergente. Mais il faudra que les apps à usage généraliste soient validées scientifiquement avant d’envisager tout usage généralisé.

Les applications utilisées en médecine spécialisée sont très souvent l’œuvre des médecins spécialistes eux-mêmes afin de répondre à un besoin médical dans leur spécialité. Elles sont généralement testées et validées selon les protocoles médicaux admis par la communauté scientifique. Au contraire, les applications proposées pour un usage en médecine générale sont, pour la plupart, créées par des entrepreneurs non médecins opportunistes. Et leur efficacité est rarement garantie scientifiquement.

Un premier coup de sonde

Une enquête menée par la Chaire IA et médecine digitale de l’Université de Mons, en collaboration avec le groupe de presse médical Medi-Sphère et AI4Belgium, une organisation qui vise à établir une stratégie pour l’utilisation de l’IA dans le pays, dévoile les attentes et les préoccupations en matière d’intelligence artificielle des médecins généralistes belges.

L’étude a été menée via un questionnaire auprès de 240 médecins belges, dont 41,3% de francophones et 58,7% de néerlandophones. Un médecin généraliste francophone sur 3 (29,16%) , et un néerlandophone sur 2 (51,6%), sans différence liée au milieu d’exercice ou de l’âge, se disent intéressés par l’implémentation de l’IA dans l’exercice de leur métier.

Les bénéfices espérés de cette association digitale ? Une augmentation de la rapidité et de la fiabilité de la prise de décision (pour 76,6 % des répondants), une réduction du risque d’erreur (76,6 %) et la possibilité d’un suivi plus personnalisé et adapté du patient (63,9 %). C’est ce que mentionne le « Baromètre de l’adoption de l’IA chez les médecins généralistes en Belgique ».

Suivre les symptômes à distance

Aujourd’hui, il existe une multitude d’applications de biomonitoring permettant de suivre à distance différents paramètres ou symptômes : rythme cardiaque, tension artérielle, taux d’oxygène dans le sang, signaux neurologiques comme l’épilepsie, taux de sucre dans le sang, fonction rénale, mobilité, etc.

Prenons un patient épileptique. Tout au plus, son médecin généraliste le reçoit en consultation 3 à 6 fois par an. C’est donc de façon ponctuelle qu’il prend connaissance de ses paramètres de santé. Le reste du temps, il ignore leurs fluctuations, petites ou sévères comme la survenance de crises d’épilepsie.

Les applications de biomonitoring couplées à l’IA pourraient changer la donne. Celles-ci captent des signaux d’intérêt de façon continue chez le patient et informent le médecin généraliste lorsque la situation est en train de se dégrader. « Ainsi, en plus des soins programmés, viendrait se greffer tout un trajet supplémentaire de soins ad hoc. Cela est particulièrement pertinent pour les patients plus âgés ou souffrant de maladies chroniques », explique Dr Giovanni Briganti, médecin et titulaire de la Chaire « IA et médecine digitale ».

D’autres applications se positionnent comme aide au diagnostic. D’autres encore, notamment en santé physique et mentale, proposent des conseils personnalisés de médecine préventive.

Des apps encore à valider

Toutes ces applications de santé, sont-elles validées de façon scientifique ? Très peu le sont, et c’est un réel problème. « Pour quelques rares apps, le boulot a été bien fait : des études de qualité, réalisée selon un design correct, montrent leur efficacité dans un milieu de santé bien défini, comme la médecine générale ou hospitalière. Mais cela constitue l’exception plutôt que la règle générale », pointe Dr Briganti.

« Or, la validation scientifique est un cheminement complexe et strict. Concernant une application à vocation médicale, si elle a bien fonctionné sur le premier groupe de patients, il est nécessaire de répéter l’essai sur un deuxième échantillon de patients. Ensuite, il convient de la tester une troisième fois, sur un échantillon international. C’est seulement alors que les résultats sont considérés comme ayant du sens et qu’ils peuvent être mis en avant. »

« Clairement, aujourd’hui, il existe un problème récurrent dans le design, la conception et la validation des systèmes IA. Une grosse partie des apps médicales sur le marché ont été développées par des entrepreneurs sans s’inquiéter d’une validation médicale. C’est ce qu’on essaie de combattre avec l’instauration, à l’UMons, d’une Chaire en IA et médecine digitale, dont je suis le titulaire. Nous aidons les entreprises à tester leurs produits digitaux selon des protocoles sérieux d’un point de vue scientifique et académique», poursuit Dr Briganti.

Focus sur la médecine digitale à l’UMons

Sous la houlette de la Chaire IA et médecine digitale, depuis septembre 2022, une formation en médecine digitale est donnée en 3e bac pour les étudiants en médecine. A partir de rentrée 2023, cette formation sera étendue comme cours à option en sciences biomédicales et pharmaceutiques.

« Le but est de capitaliser sur le fait que l’UMons, contrairement aux autres universités belges, dispense une formation initiale très poussée en statistiques et en méthodologie. Le cours de médecine digitale prend la forme de travaux pratiques et d’un cours théorique, durant lequel sont exposés les principes généraux de l’IA, les applications en santé, leurs limites et leurs défis éthiques et moraux. »

Pour les médecins qui ont fini leurs études, les autres professionnels de la santé et celles et ceux intéressés par le sujet, un certificat interuniversitaire en IA et médecine digitale a été mis sur pied. La première édition, réalisée l’an dernier de septembre à juin, était sold-out. Et preuve que le sujet est dans l’air du temps, le candidat le plus âgé pour la prochaine session a plus de 80 ans !

Haut depage