La mort humaine n’a pas d’odeur spécifique

31 octobre 2023
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Que se passe-t-il après la mort? Il n’est pas ici question d’une autre vie ou de l’accès à un hypothétique paradis, mais des odeurs émises par le cadavre. Identifier spécifiquement un parfum typique d’un humain décédé serait d’une grande utilité pour entraîner les chiens policiers à retrouver des dépouilles. Sous la houlette de François Verheggen, directeur du laboratoire d’Ecologie chimique et comportementale à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), Ir Clément Martin s’est penché sur la question et a analysé les molécules volatiles retrouvées à hauteur du visage de 20 cadavres humains frais. C’est-à-dire analysés entre le moment de la mort et l’apparition des premiers signes d’inflation du corps.

Echantillonnage dans le sac mortuaire

Cela s’est déroulé à la morgue de Gilly, sous l’autorité du Dr Duverger, médecin légiste. « Entre novembre 2019 et février 2020, nous avons été informés quotidiennement de la présence d’au moins un nouveau cadavre dans la morgue. A notre arrivée, le cadavre, déposé sur un chariot métallique dans un sac mortuaire en plastique blanc, était sorti de la chambre froide (4 °C) dans laquelle il était conservé. Et était placé dans une pièce à 19 °C », explique le jeune chercheur.

« Afin de procéder au prélèvement des composés organiques volatils au niveau de la tête, nous avons ouvert la fermeture éclair du sac mortuaire de quelques centimètres et introduit un tube de collecte. Après 10 minutes d’échantillonnage, nous avons scellé les tubes et les avons conservés dans un réfrigérateur à 4 °C pour éviter la désorption des composés. »

Aucun marqueur spécifique à l’homme

C’est bien avant que le corps ne se mette à gonfler que les premières mouches nécrophages y pondent des œufs. « Cela suggère que les mouches perçoivent des composés volatils cadavériques. » Toutefois, jusqu’alors, les rares études que compte la littérature scientifique sur l’analyse olfactive des cadavres humains frais indiquaient globalement une absence d’odeur. Les scientifiques de Gembloux apportent un nouveau regard sur la chose, grâce à des techniques analytiques de pointe.

Ils ont, en effet, détecté un total de 23 composés cadavériques. Parmi ceux-ci, le plus abondant est la 2-heptanone, molécule représentant près de la moitié de l’odeur des cadavres humains frais. Quatre autres composés ont également été identifiés à plusieurs reprises : le disulfure de diméthyle, l’acétate d’éthyle, le limonène et le 3-méthyl-1-butanol. «Ce sont les molécules typiques de la décomposition. A elles seules, elles ne permettent pas de faire la différence entre une décomposition humaine, animale ou végétale», explique Pr Verheggen.

Par ailleurs, il n’a pas été possible d’identifier dans le profil odorant une molécule volatile spécifiquement humaine. En effet, tous les composés détectés par les chercheurs gembloutois étaient identiques à ceux repris dans la littérature scientifique chez le rat et le cochon récemment décédés.

«Cette absence de spécificité humaine a été une déception pour les forces de police, avec lesquelles on travaille, qui espéraient qu’un marqueur spécifique soit identifié. Toutefois, en fonction de nos résultats, le parfum soumis aux chiens pour les dresser et les entraîner va être adapté. Et ce, en amenant la concentration relative des différents constituants proche de la moyenne de celles que nous avons analysées sur les 20 cadavres humains.»

Le rôle du microbiote

L’impact de facteurs tels que la température de la peau, l’intervalle post-mortem (PMI) et la présence de lividité et de rigidité cadavériques a été examiné afin d’identifier leur influence sur l’émission de composés organiques volatils spécifiques aux premiers stades de la décomposition. Des paramètres intrinsèques tels que l’âge, la taille et le sexe ont également été évalués. «Mais aucun n’a donné de résultat significatif. Autrement dit, une fois mort, tout le monde sent à peu près la même chose», précise Pr Verheggen.

D’où viennent ces odeurs? Il s’agit des produits de dégradation des protéines et des graisses par les bactéries hébergées dans le corps. «Or, les cadavres analysés vivaient tous en Belgique, mangeaient certainement des aliments similaires et avaient dès lors vraisemblablement des flores intestinales proches. Quid d’humains récemment décédés provenant d’autres pays, avec des diètes différentes? Cela pourrait avoir un impact sur leur microflore et influencer l’odeur cadavérique: c’est une piste intéressante. L’idéal serait une méta-analyse pour comparer notre étude avec les résultats d’études similaires menées dans d’autres pays, mais cela n’existe pas encore», conclut Pr Verheggen.

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