Souriez, vous êtes captés ! C’est le mot d’ordre à peine franchit-on la porte vitrée de l’exposition Capture#2, qui se tient au Pavillon, lieu dédié aux cultures numériques sur les hauteurs de la citadelle de Namur. « En anglais, ‘capture’ fait référence à la captation de données, d’informations. C’est ainsi que la première partie de l’exposition est traversée par la manière dont les machines et les algorithmes d’intelligence artificielle (IA) captent le réel, le transcrivent et influencent notre propre perception du réel », explique Charlotte Benedetti, directrice du Pavillon. Dans la seconde moitié de l’exposition, les œuvres explorent le lien entre l’homme et la nature, mais aussi entre la technologie et la nature.
L’IA donne un visage aux disparus
Derrière un rideau noir, au centre d’une pièce blanche plongée dans l’obscurité, se tiennent des lentilles acryliques carrées, incolores et transparentes, supportées par un pied métallique. Lorsque le faisceau d’une lampe de poche les rencontre, des images se révèlent sur les murs. On y distingue, en dégradés de gris, sans trop de détails, des humains, un tatouage en gros plan.
« A l’origine de ces portraits flous, il y a une indignation de Stéphanie Roland, artiste basée à Bruxelles, face aux régimes militaires et dictatoriaux de Pinochet au Chili ou de Videla en Argentine. Ceux-ci avaient l’habitude de faire disparaître leurs opposants en éliminant leur dépouille, laissant leur famille dans une attente interminable et les empêchant de faire leur deuil de leur disparu. »
Les images projetées sur le mur de l’exposition ne sont pas réelles, mais ont été créées par une IA au départ de la base de données d’Interpol concernant la recherche des personnes disparues dans le monde entier. Elles sont la somme de différentes histoires personnelles. « La particularité de ce travail réside dans le fait que les lentilles transparentes et incolores sont gravées sur plusieurs niveaux. Cela engendre une sorte d’anamorphose, une image déformée qui peut être recomposée par un système optique par exemple. Cette image déformée et décomposée en plusieurs plans raconte la diversité des identités qui se cachent dans l’image projetée sous le faisceau de la lampe de poche », commente Charlotte Benedetti. Et nous confronte à cet état de latence, entre souvenirs et mélancolie, dans lequel les familles endeuillées sont plongées.
Cartographier à l’aide des réseaux sociaux
« La carte n’est pas le territoire ». Cette réflexion est le point de départ de l’impressionnant travail de recherche documentaire et artistique mené par Laura Colmenares Guerra, artiste basée à Bruxelles. Elle porte sur la manière dont on cartographie un espace, en prenant comme exemple l’Amazonie.
Poumon terrestre de la planète, ce vaste territoire couvrant 44 % de l’Amérique du Sud abrite des millions de personnes indigènes et une des plus grandes biodiversités de la planète. Et joue un rôle essentiel dans l’atténuation du changement climatique. Notamment via son rôle de puits de carbone. Mais ces dernières années, ce territoire précieux à l’humanité cristallise les tensions autour d’énormes enjeux environnementaux, sociaux et climatiques.
Le projet, dénommé Rios, est une trilogie. Le premier chapitre prend la forme de sculptures de relevés topographiques réels imprimés en 3D en porcelaine. Chaque sculpture représente une région distincte du bassin amazonien. « La subtilité, c’est qu’au sein de ces impressions du relief amazonien, on distingue des polygones », explique Charlotte Benedetti.
« Par ces formes, l’artiste met en lumière les menaces climatiques, sociales et environnementales qui affectent chaque zone en particulier. Par exemple, extraction pétrolière ou minière, déforestation, impact délétère sur les populations indigènes. Mais ce n’est pas tout : ces polygones peuvent être de petite ou de grande taille. Plus le niveau est élevé, plus la thématique a été diffusée sur Twitter (désormais X) via des hashtags en lien. Toutes ces connexions faites par la « twittosphère » permettent de voir la manière dont celle-ci lit le territoire. C’est le deuxième chapitre de la trilogie.»
Le troisième chapitre prend la forme d’une immersion sur le fleuve Amazone en réalité virtuelle. Durant une quinzaine de minutes, cette reconstitution en images de synthèse diffuse une foule d’informations très documentées. L’artiste explique les menaces qu’elle a identifiées pour chaque district et l’état de la situation actuelle. Elle met aussi à disposition des cartographies émanant notamment d’ONG, permettant de s’immerger dans les données factuelles pour chaque territoire amazonien.
« Cet énorme travail de recherche s’est étalé sur 5 années. Il se situe à l’intersection entre arts, sciences et technologies. Et c’est aussi dans cette intersection que s’inscrit l’ADN du KIKK, ASBL qui chapeaute l’exposition Capture#2», conclut Charlotte Benedetti.
D’autres projets d’artistes explorant les technologies pour capturer et transcrire le monde à leur manière sont à voir au Pavillon à l’esplanade de la Citadelle jusqu’au 14 janvier 2024.