Les voitures électriques de demain, rouleront-elles grâce à des nodules sous-marins, prélevés à plus de 4500 mètres de profondeur? Derrière cette question pour le moins surprenante, se cache une réalité claire. Actuellement, de nombreux métaux indispensables à nos technologies modernes et nécessaires à la transition énergétique sont situés ou vendus par/dans des états extraeuropéens.
« Le lithium, le cobalt et le nickel sont utilisés pour produire des batteries. Le gallium est utilisé dans les panneaux solaires. Le bore brut est utilisé dans les technologies éoliennes. Le titane et le tungstène sont utilisés dans les secteurs de l’espace et de la défense », rappelle l’Europe, qui se préoccupe de ses approvisionnements en matières premières critiques.
Indépendance d’accès aux matériaux critiques
Le problème vient du fait que « 63 % du cobalt mondial, utilisé dans les batteries, est extrait en République démocratique du Congo, que 97 % de l’approvisionnement en magnésium de l’UE provient de la Chine, et que 100 % des terres rares utilisées pour les aimants permanents sont affinées dans ce même pays », souligne la Commission européenne.
Pour garantir à l’Europe une indépendance d’accès à ces matériaux, plusieurs pistes sont explorées. Relancer l’exploitation minière en Europe, par exemple. En France, il existe ainsi un potentiel d’extraction du lithium, dans la commune de Beauvoir (département de l’Allier), dans une ancienne carrière de kaolin.
Les nodules métalliques aiguisent les appétits
Une autre piste passerait par l’exploitation de nouvelles mines terrestres, de manière plus « durable », socialement parlant. Ou encore par l’exploitation de gisements moins classiques, comme celle de nodules sous-marins. Une entreprise belge, déjà active dans l’exploration de cette filière, en a relaté les enjeux, lors d’une réunion organisée sur les mines « durables », par le Conseil fédéral pour le développement durable (CFDD).
« L’exploitation des nodules sous-marins » est un sujet qui revient souvent dans l’actualité », pointe en marge de ce colloque, Eric Pirard, ingénieur géologue et professeur au sein du département « Ressources Minérales & Economie Circulaire » à l’Université de Liège. « Mais il n’est pas neuf. Leur découverte remonte à plus d’un siècle. Ce qui est neuf, c’est que la technologie nécessaire à leur éventuelle exploitation est désormais disponible. »
Ces nodules métalliques sont posés sur les fonds marins, dans les régions tropicales. Ils constituent des « champs » riches de milliards de nodules, situés à plusieurs milliers de mètres sous la surface.
« Ils se sont formés par précipitation des métaux autour d’un noyau, au contact d’un film bactérien ou par réaction chimique directe », précise Eric Pirard. « Ils ont mis des millions d’années à se former pour atteindre aujourd’hui la taille d’une pomme de terre ».
Le nickel et le cobalt en ligne de mire
« Les métaux qu’ils contiennent se trouvent à l’état naturel dans la croûte océanique. Au fil du temps, l’eau de mer a dissous ces métaux. Résultat, on retrouve dans l’eau de mer, à proximité de la croûte, une concentration un peu plus élevée de certains de ces métaux. Il en résulte que ces nodules contiennent pour l’essentiel des oxydes de fer et de manganèse. C’est surtout l’exploitation du nickel, du cobalt et dans une moindre mesure, du cuivre, qui présenterait un intérêt. »
Un des hauts lieux de concentration de ces nodules est la ceinture de Clarion Clipperton, dans l’océan Pacifique. Cette zone est située entre la côte ouest américaine et Hawaii.« Il y a là un champ de nodules d’environ un million de kilomètres carrés », reprend l’ingénieur-géologue. « Posés sur le sol, un simple examen par caméra permet d’en estimer la densité. Toute la question est de savoir comment les récolter. Et, au final, de définir si cela est à la fois intéressant d’un point de vue économique et environnemental. »
Préservation de l’environnement
Une entreprise belge, la société Global sea mineral ressources a développé une technologie capable de récolter ces nodules. GSR est une entreprise rattachée au groupe DEME, une entreprise de dragage anversoise spécialisée en ingénierie de haute mer.
« Ils y vont pas à pas dans l’exploration et l’évaluation des techniques de prélèvement », précise le Pr Pirard. Une prudence, qui s’explique par les pressions d’ONG et du public sur l’éventuelle exploitation de ce gisement. Des oppositions potentielles liées à l’aspect émotionnel de ce type d’extraction. Le fond des océans est, en effet, un lieu vierge d’exploitation. »
La question environnementale est évidemment importante à prendre en compte. Tout comme la question sociale en matière d’exploitation minière.
Outre la faisabilité technique, se pose aussi la question des ressources alternatives de nickel et de cobalt dans le monde. « Aujourd’hui, les grandes mines de nickel se développent à grande vitesse en Indonésie et aux Philippines. Ces pays sont devenus les leaders du marché », pointe l’ingénieur géologue. L’Indonésie développe cette exploitation à toute vitesse, grâce à des capitaux chinois. Il faut savoir que cette exploitation se situe dans les couches superficielles du sol.
Le recyclage seul ne suffit pas
Pour mener ce type d’exploitation minière, il faudrait d’abord couper la forêt. Or, c’est dans cette région du monde, du côté de Sulawesi, aux Célèbes, qu’on retrouve les dernières forêts vierges primaires.
« Les opposants à l’exploitation des nodules sous-marins pointent, à juste titre, que ce n’est pas en allant chercher les nodules marins que cela va interrompre l’exploitation du nickel en Indonésie. Le problème est complexe. Mais je suis convaincu que si on met tout dans la balance, y compris les impacts sociaux et environnementaux de l’activité minière, il y a plus que matière à réflexion. »
À moins que nos appétits européens pour les matériaux critiques, ne trouvent une partie de la réponse dans d’autres approches. Comme le recyclage par exemple? « C’est clair que le recyclage est une voie importante », estime encore le scientifique.
Mais il a aussi fait ses calculs. « Après trois cycles de recyclage, on ne récupère plus que 51 % des métaux initialement présents dans un objet. Et encore, tout n’est pas recyclable. Il n’y a aujourd’hui pas moyen de recycler le métal des LED que nous utilisons pour nous éclairer en consommant très peu d’énergie. Il faudra donc toujours extraire du sol les éléments dont nous avons besoin », conclut-il.