La recherche nucléaire est plus importante que jamais pour la santé des Européens

23 novembre 2023
Carte blanche d'Iliana Ivanova, Commissaire européenne chargée de l’innovation, de la recherche, de la culture, de l’éducation et de la jeunesse
Durée de lecture : 5 min

La recherche nucléaire civile a toujours été l’une des pierres angulaires de la collaboration européenne. À sa création en 1957, la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) avait pour objectif de promouvoir la recherche, d’établir des normes de sûreté et de progresser dans l’utilisation pacifique des matières nucléaires. En quelques années seulement, des installations de recherche ont vu le jour en Belgique, mais aussi en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas, dans le cadre du Centre commun de recherche (JRC). Cette activité de recherche nucléaire est tout aussi importante et tout aussi pertinente aujourd’hui pour l’UE.

Soixante ans plus tard, il me paraît, en effet, essentiel de mettre en avant l’évolution des travaux entamés dans le cadre du programme Euratom et sa nécessaire continuation, dans la mesure où il répond encore à des besoins toujours actuels : faire face à une économie de plus en plus énergivore sans dépendre entièrement des pays tiers.

La production d’énergie est historiquement le domaine de recherche le plus important pour l’utilisation du nucléaire civil, mais c’est loin d’être le seul. Le JRC a notamment étudié des applications en matière médicale et de soins de santé.

Lutter contre le cancer, protéger les citoyens

Le cancer de la prostate est le deuxième cancer masculin le plus fréquent au monde. Il représente près de 4 % de la totalité des décès causés par cette maladie chez les hommes. La mortalité liée à ce type de cancer est relativement faible si la maladie est détectée à un stade précoce. Mais en raison de l’absence de dépistage régulier, les patients sont souvent diagnostiqués lorsque le cancer a déjà atteint un stade métastatique. Les soins palliatifs deviennent souvent la seule option et un nombre considérable de patients refusent les traitements classiques par crainte de leurs effets indésirables.

Pour remédier à cela, le JRC a mis au point une thérapie alpha ciblée. Ce type de thérapie a la faculté d’interagir avec des molécules spécifiques localisées dans des cellules cancéreuses, tout en étant moins susceptible d’interférer avec des cellules saines. Du fait de la quantité élevée d’énergie que les particules alpha déposent dans le tissu cancéreux et dans les métastases, la thérapie peut même détruire des cellules qui se sont avérées résistantes à d’autres traitements tels que les médicaments de chimiothérapie. Il est ainsi possible de réduire considérablement les effets indésirables et l’impact sur les tissus sains.

Les chercheurs du JRC, en collaboration avec l’hôpital universitaire de Heidelberg, ont élaboré et synthétisé un médicament radioactif, l’Actinium-225-PSMA617, particulièrement efficace dans la thérapie alpha ciblée pour lutter contre le cancer de la prostate. Plusieurs études cliniques ont été lancées et seront bientôt étendues à d’autres hôpitaux en Europe et au-delà. Cette approche clinique est, par exemple, testée en Afrique du Sud, à l’hôpital Steve Biko de Pretoria, avec des résultats novateurs à plusieurs phases du traitement des tumeurs. Cette thérapie alpha ciblée avec l’Actinium-225-PSMA617 offre une possibilité de traitement à faibles effets secondaires. Elle a permis de prolonger la durée de vie et/ou d’obtenir une rémission à long terme chez des centaines de patients.

Les chercheurs pensent qu’ils peuvent développer d’autres composés radioactifs capables de cibler des types spécifiques de cancer comme, par exemple, le cancer du sein, premier cancer le plus fréquent chez les femmes. Il s’agit là d’une nouvelle étape cruciale dans la mise en œuvre du plan européen destiné à vaincre le cancer lancé par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.

Les radionucléides : un outil important pour la médecine personnalisée

La recherche nucléaire est à la base de cette passionnante évolution qui tend vers une médecine personnalisée et de précision. Elle offre des avantages considérables, nous permettant de voir le tissu cancéreux (par l’imagerie) puis de le cibler (par la thérapie) – une nouvelle approche appelée théranostique en raison de sa capacité unique à combiner diagnostic et thérapie. Mais il reste beaucoup à faire avant que cette approche puisse être largement utilisée.

La production de la quantité nécessaire de radionucléides comme l’Actinium-225-PSMA617 constituera le plus grand défi. Étant donné qu’un nombre croissant de centres de recherche clinique dans le monde reconnaissent le potentiel de la thérapie alpha ciblée, la demande concernant ces composés radioactifs devrait augmenter de manière significative. Répondre à cette demande sera essentiel pour rendre les technologies des radionucléides médicaux accessibles à tous les patients. Il est capital d’augmenter le nombre d’installations capables de produire ces radio-isotopes et de les mettre à disposition à plus grande échelle.

En outre, les scientifiques du JRC recherchent actuellement de nouvelles techniques pour produire plus facilement ces composés vitaux. Ils ont déjà mis au point une autre méthode de production qui permettra à un plus grand nombre de patients d’accéder à des procédures médicales ayant recours à différents radionucléides.

Les partenariats scientifiques jouent un rôle clé dans la recherche. La collaboration étroite entre le JRC et l’institut de recherche belge SCK CEN, qui couvre un large éventail de projets dans le domaine de la médecine nucléaire et au-delà, en est un exemple remarquable.

Une priorité continue

Au début d’Euratom, ces réalisations étaient inimaginables. Il apparaît que l’étude des éléments constitutifs de la matière peut produire des résultats extraordinaires. La recherche nucléaire continue de repousser les limites de ce que nous considérons possible, en médecine et au-delà : c’est pourquoi elle doit rester une priorité scientifique pour l’Union européenne. L’expertise nucléaire de pointe et les infrastructures de recherche uniques du Centre commun de recherche sont des atouts précieux pour explorer les frontières des applications de la science nucléaire, dans l’intérêt de tous les Européens.

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