Ostéoporose, arthrose, sarcopénie : la prévalence des maladies musculo-squelettiques liées au vieillissement est en augmentation. La sarcopénie se caractérise par une perte progressive et généralisée de la masse et de la force musculaires. Elle se traduit par une dégradation des performances physiques des personnes âgées, par des troubles de la marche et une augmentation du risque de chute et de fracture. Il s’agit donc d’un facteur de fragilité et de perte d’autonomie.
Une étude observationnelle longitudinale pionnière
En 2012, Charlotte Beaudart, détentrice d’un master en sciences de la santé publique à l’Université de Liège, décide de consacrer sa thèse de doctorat à la sarcopénie. Elle la mène sous la supervision du Pr Olivier Bruyère du département des sciences de la santé publique à l’ULiège, avec un financement du FNRS.
C’est dans ce cadre qu’elle lance, en 2013, SarcoPhAge (Sarcopenia and Physical Impairment with advancing Age), une des premières études observationnelles longitudinales sur la sarcopénie. 534 patients de plus de 65 ans sont recrutés et suivis pendant dix ans. « Chaque année », explique-t-elle, « on a revu les participants et refait les mêmes tests. Notamment, un examen du corps entier par absorptiométrie biphotonique à rayons X (Dual-Energy Xray absorptiometry, DXA), initialement utilisée pour diagnostiquer l’ostéoporose. Cet examen permet également une mesure précise de la masse musculaire et la masse grasse d’un sujet. Réalisé annuellement, il a permis de disposer d’une évaluation longitudinale et dynamique du statut de la sarcopénie chez ces patients. »
Chaque année, pour chaque participant, l’équipe a également collecté des informations sur la qualité de vie, l’activité physique, le tabagisme, les comorbidités… et fait des prélèvements sanguins.
Le risque s’accroît avec la malnutrition
Sur les 534 personnes suivies, 73 ont été diagnostiquées sarcopéniques, soit une prévalence de 14%. « On a vu une association claire entre la sarcopénie et une augmentation du risque de mortalité et de chute, ainsi qu’une diminution de la qualité de vie. Ce sont les principaux résultats observés après quelques années de suivi. A présent, on fait un bilan à dix ans pour mesurer l’impact à plus ou moins long terme de la sarcopénie sur une série d’événements tels que les hospitalisations, les fractures, la qualité de vie… »
« Globalement, cette étude a bien fonctionné, on a publié plusieurs articles scientifiques », se réjouit la chercheuse. « On a aussi montré que les patients à risque de malnutrition au départ avaient un plus haut risque de développer une sarcopénie. »
Autre point d’intérêt: en utilisant divers outils diagnostiques de la sarcopénie et en analysant la variation de la prévalence de ce syndrome selon l’une ou l’autre définition, Charlotte Beaudart et son équipe ont contribué à la nouvelle définition de la sarcopénie. « Certains de nos papiers ont été utilisés pour cette révision faite en 2019. Nos résultats ont donc eu un impact international. »
Le questionnaire SarQoL mesure la qualité de vie
Tout ce travail a conduit Charlotte Beaudart à créer, en collaboration une dizaine d’experts internationaux, le questionnaire SarQoL (Sarcopenia and Quality of Life), le seul outil actuellement validé pour mesurer la qualité de vie spécifique à la sarcopénie. Il se compose de 55 items (22 questions) portant sur la sensation d’être âgé ou fragile, la limitation dans les mouvements quotidiens (marcher, cuisiner, jardiner…), les douleurs, le maintien d’une vie sociale…
« La deuxième année de notre cohorte, on a développé cet outil grâce à la collaboration des patients inclus dans SarcoPhAge. Il a été publié en 2014. Dix ans plus tard, il a été validé par 20 équipes de recherche et traduit en 35 langues. »
SarQoL est disponible gratuitement pour les chercheurs et les cliniciens sur le site https://www.sarqol.org, soutenu par la Région wallonne via la réalisation d’une First Spin Off de l’Université de Liège et le FNRS.
« En revanche, l’accès est payant pour l’industrie pharmaceutique », souligne la chercheuse. « Cet outil peut être utilisé dans les essais cliniques pour évaluer l’efficacité des traitements, sur des facteurs plus subjectifs – et plus importants pour le patient – qu’une amélioration de la force musculaire. »
Pour faciliter l’utilisation du questionnaire SarQoL par les médecins et les patients, une version courte a été développée. Elle compte 14 items (8 questions) et a été mise au point par le Dr Anton Geerinck dans le cadre de sa thèse de doctorat passée en 2021, avec le Pr Olivier Bruyère comme promoteur et Charlotte Beaudart comme co-promotrice.
Une reconnaissance internationale
« Le développement de SarQoL m’a permis d’initier de nombreuses collaborations à travers le monde. Par exemple, mon premier article de l’année 2024 est une méta-analyse sur données individuelles: 30 centres m’ont envoyé leurs bases de données pour réaliser des analyses beaucoup plus complètes tenant compte de multiples facteurs confondants. C’est une des premières « Big database » (incluant plus de 5000 patients) réalisée sur la sarcopénie. Cette méta-analyse suggère que la sarcopénie est associée à une moindre qualité de vie liée à la santé, mesurée par le SarQoL. Les activités de la vie quotidienne et la locomotion sont les deux domaines les plus touchés. »
La Dre Charlotte Beaudart a intégré en septembre 2023 le département des sciences biomédicales de l’Université de Namur en tant que professeure en recherche clinique. Elle reste néanmoins affiliée à l’ULiège parce qu’elle fait partie du Centre collaborateur de l’OMS pour l’épidémiologie de la santé musculo-squelettique et du vieillissement.
Pour l’avenir, la chercheuse fourmille d’idées. Par exemple, adapter le questionnaire SarQoL aux maisons de repos ou aux patients atteints d’obésité sarcopénique, évaluer sa sensibilité au changement dans le cadre des essais cliniques…
Récemment, deux prix sont venus récompenser la qualité des travaux de Charlotte Beaudart. En novembre 2023, elle a reçu le Prix Chaffoteaux/Fondation de France et, en décembre 2023, le Prix scientifique de la Fondation AstraZeneca (FRS-FNRS).