Les développements technologiques en médecine enthousiasment le Dr Jean-Louis Vincent. «Le domaine des soins intensifs est particulièrement concerné pour les problèmes complexes, l’application de hautes technologies et la masse de données générées par les différents appareils à disposition», explique le professeur de soins intensifs à l’ULB.
«Les technologies de l’information, la collecte de données, leurs interprétations par les outils avancés des statistiques et de l’intelligence artificielle, leur intégration dans les systèmes d’aide à la décision clinique permettent des avancées importantes dans le diagnostic. La prise en charge et la surveillance du patient.»
Le spécialiste en médecine interne et en soins intensifs témoigne de ce progrès dans «La transformation de la médecine par les technologies de l’information». Aux éditions de l’Académie royale de Belgique, collection «L’Académie en poche».
Des diagnostics plus précis
Le processus pour établir un diagnostic est codifié: test sanguin, plaintes du patient, histoire clinique, imagerie… Mais l’intelligence artificielle (IA) peut déceler des choses qui échappent à l’œil humain. Notamment, lorsque des éléments très semblables sont présentés ensemble. «Par une approche plus systématique, la machine repère ces anomalies beaucoup plus facilement et plus rapidement», souligne le chercheur.
Un système informatique entraîné à faire le tri entre images de lésions cutanées cancéreuses ou non renforce le diagnostic de tumeurs dermatologiques. En mammographie, des programmes d’IA intègrent l’information «avec l’analyse génétique de la personne et établissent ainsi la fréquence optimale des examens. Des analyses automatiques de radiographies de thorax sont utilisées dans les hôpitaux. Y compris dans les unités de soins intensifs.»
L’IA aide aussi à identifier les malades qui pourraient participer à l’étude de nouveaux traitements.
Choisir entre bénéfice et risque
Le diagnostic n’est qu’une étape dans la prise en charge des patients. L’IA aide à élaborer des schémas thérapeutiques. Comme pour le traitement de l’hypertension artérielle ou de l’hypercholestérolémie qui tient compte de plusieurs variables. «Un traitement chirurgical peut aussi être discuté avec les éléments objectifs de bénéfice et de risque associé aux complications possibles», dit le médecin au service des soins intensifs de l’hôpital Érasme-ULB à Bruxelles.
Lors du traitement, la machine peut rappeler le risque de complication. Recommander un autre CT-scan (Computed Tomography-scanner).
L’apport de l’IA allège le travail des soignants. Placés à distance, des senseurs mesurent la fréquence cardiaque et respiratoire, la pression artérielle, la température des malades.
La machine marque un point
«Dans la prescription d’antibiotiques, la machine pourra marquer un point par rapport au médecin», note le Dr Vincent. «Ce choix est, en effet, basé sur une série d’éléments objectifs: la source de l’infection, l’information microbiologique lorsque le type de microbes est disponible, les germes les plus fréquents dans l’environnement du malade, ses allergies éventuelles, le coût des antibiotiques et les politiques locales dans le choix des médicaments.»
«En cas de doute, le choix de la machine peut être soumis à l’approbation du spécialiste. Au moins dans un premier temps.»
L’auteur raconte qu’un tel système a déjà été développé à la fin du 20e siècle aux États-Unis dans un centre universitaire de Salt Lake City. «Les résultats ont été probants, montrant non seulement le bon fonctionnement et la sécurité du système, mais aussi une meilleure gestion de l’antibiothérapie, induisant une réduction de la durée d’hospitalisation.»
Inquiétude
«Une analyse informatique trop simple pourrait inciter l’arrêt d’un traitement associé à une plus grande mortalité, alors que c’est la gravité de la situation qui nécessite ce traitement», observe le membre de l’Académie royale de médecine de Belgique. «Dans le domaine des soins intensifs, le besoin de doses élevées d’agents vasopresseurs, qui permettent de contracter les artères en cas d’hypotension, est évidemment associé à un taux de mortalité plus élevé. Mais ceci n’implique pas pour autant que le traitement vasopresseur devrait être évité.»
Les développements en IA du «deep learning», l’apprentissage profond qui crée des modèles imitant la façon dont les humains assimilent de nouvelles informations, inquiètent Jean-Louis Vincent. «Ils pourraient nous amener à ne plus pouvoir contrôler la qualité des analyses fournies. Le danger survient lors de résultats faux au sortir d’une boîte noire dont le contrôle est devenu impossible. Il y a lieu de se méfier de la boîte noire informatique, en contrôlant la qualité des données fournies. Et le bien-fondé des applications.»