Quelque 129.000 objets culturels, 82.000 échantillons de bois, dix millions de spécimens zoologiques, dont 135.000 mammifères parmi lesquels on dénombre 10.500 primates…. Les collections du Musée royal de l’Afrique centrale (AfricaMuseum), une des institutions scientifiques fédérales belges (BELSPO), sont d’une richesse extraordinaire.
Mais d’où proviennent toutes ces pièces? Et surtout, comment sont-elles arrivées à Tervuren? Ces questions sont au centre de la nouvelle exposition temporaire tout entière consacrée à la « recherche de provenance » qui vient de s’ouvrir au musée. Et baptisée « ReThinking Collections ».
Plongée dans « La fabrique des collections »
« La recherche de provenance, souvent associée aux questions de restitution, est avant tout un devoir pour toute institution muséale qui se respecte », estime Jacky Maniacky, chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale. « Cette dernière se doit, en effet, de faire le maximum pour combler les lacunes au niveau des informations sur ses collections, qu’elles soient exposées ou non. Ce devoir est encore davantage marqué lorsqu’il s’agit d’un musée dont l’origine est entièrement liée au passé colonial », indique-t-il dans l’avant-propos du livre « La Fabrique des collections: origines, trajectoires & reconnexions ».
Cet ouvrage scientifique, publié par le Musée en octobre 2023, se concentre sur deux perspectives complémentaires : le domaine du patrimoine (culturel) dans le contexte général belgo-congolais, historique et contemporain, et les collections de l’AfricaMuseum. Il sert de fil rouge à l’exposition.
Des collections largement confectionnées durant la période coloniale
Prenons l’exemple du masque du peuple Suku au visage blanc, présenté dans les collections permanentes du musée. Il a été donné à l’institution belge en 1913 par la Compagnie du Kasaï. Cette entreprise d’exploitation du caoutchouc a fait don de plus de 1.500 pièces à l’institution scientifique belge.
« Avant la Première Guerre mondiale, le musée avait déjà acquis plus de 40.000 objets culturels provenant du Congo : c’est-à-dire 60 % de tous les objets culturels du Congo qui sont arrivés au musée durant la période coloniale », rappelle la nouvelle exposition.
« La majeure partie a été obtenue dans des contextes de rapports de force inégaux et de violence, dans lesquels les communautés congolaises disposaient de très peu de liberté d’action. Les personnes impliquées directement ou indirectement dans l’acquisition des objets relevaient de différents réseaux. »
Militaires, religieux, collectionneurs privés: des sources d’approvisionnement multiples
C’est, entre autres, cet aspect de la provenance des pièces que les recherches actuelles tentent d’éclairer. Et il faut dire que les réseaux d’approvisionnement du musée étaient variés à l’époque.
Il y a eu des expéditions de collecte spécifiquement organisées. Mais une foule d’autres acteurs ont également fait grossir les collections. Comme les militaires envoyés sur place pour établir et maintenir l’autorité coloniale. Ou encore les administrateurs coloniaux qui étudiaient et catégorisaient les groupes de population. « Cela leur octroyait un ascendant sur ces derniers afin de les diriger. En parallèle, ils récoltaient des objets pour le musée », retrace l’exposition.
Les missionnaires ont également collectionné des objets rituels, initialement dans le but de mettre fin aux pratiques dites « païennes », puis pour répondre aussi à un intérêt scientifique.
Sans oublier les collectionneurs inconnus! Un cinquième des objets qui ont quitté le Congo avant la Première Guerre mondiale ont été le fait de personnes non identifiées. « Nous ignorons qui était impliqué dans leur acquisition », souligne-t-on à Tervuren.
Or, connaître l’origine exacte et les circonstances d’acquisition de chaque pièce sont des éléments importants pour une institution scientifique.
Renouer avec la culture des ancêtres
Ceci est d’autant plus vrai quand cette recherche de provenance rencontre le souhait « de plus en plus d’Africains et d’afrodescendants de s’intéresser à leur histoire et qui veulent renouer avec la culture de leurs ancêtres », souligne Bart Ouvry, le Directeur général de l’AfricaMuseum.
« C’est en connaissant et en comprenant mieux notre passé que nous construisons notre identité. Pour tout citoyen, il est important de savoir comment les objets conservés au musée nous sont parvenus : souvent, cela s’est passé dans la violence ou l’injustice. Il est tout aussi important de connaître cette période cruciale de leur histoire : la conquête de territoires pendant la période coloniale a causé des blessures profondes et la restitution de la vérité fait partie de tout processus de guérison.»
Avant d’envisager des restitutions? « La restitution, c’est l’action de rendre des objets et des collections acquis par le passé de façon illicite ou injuste », dit-on encore à Tervuren.
« Le 30 juin 2022, le Parlement belge approuvait une loi qui rendait possible la restitution des objets liés au passé colonial de la Belgique au Congo, au Rwanda et au Burundi. Cette loi s’applique aux objets des collections des musées fédéraux acquis de manière illicite, à savoir par la force ou la violence, entre 1885 et 1962. Après signature d’un accord entre la Belgique et le pays d’origine, la restitution peut avoir lieu sur recommandation d’une commission scientifique mixte ». Une commission qui reste, toutefois, à créer.