Série : La politique, c’est la vie (3/6)
On le sait, comprendre le fonctionnement de la Belgique n’est pas une sinécure. Cela est en partie dû à notre système politique : le fédéralisme. Un modèle dans lequel on retrouve un gouvernement central, mais aussi plusieurs entités autonomes dotées de leur propre gouvernement garanti par la Constitution. En Belgique, le pouvoir est ainsi divisé entre un État fédéral, trois Régions et trois Communautés. Et chaque entité dispose de compétences spécifiques.
Si le fédéralisme permet de respecter les différences linguistiques et culturelles qui caractérisent notre pays, il n’est pas le système le plus efficace pour élaborer des politiques nationales concertées. Un problème particulièrement visible de nos jours dans la mise sur pied de politiques climatiques.
La difficulté de mettre tout le monde d’accord
Dans l’état actuel du droit constitutionnel, le climat est une compétence partagée entre le fédéral et les entités fédérées. La gouvernance climatique demande donc la collaboration de tous. Ce qui peut amener des lenteurs et un manque de flexibilité.
« Quand les décisions gouvernementales doivent être prises d’un commun accord, et qu’une des parties fait blocage, le processus peut être totalement paralysé. On parle en sciences politiques de “joint decision trap” (le piège de la décision concertée, en français). Une situation dans laquelle s’est déjà retrouvée la Commission nationale Climat », indique Céline Romainville, professeure de droit constitutionnel, et codirectrice au Centre de recherches sur l’Etat et la Constitution de l’UCLouvain.
Dans un projet financé par le FNRS, la chercheuse se penche avec deux autres collègues sur les problèmes liés au fédéralisme belge sur la question climatique.
« On part du constat que la Belgique peine à atteindre les objectifs fixés par l’Europe en matière climatique. À de multiples reprises, la Commission européenne a constaté les défaillances de notre pays à ce sujet ». Et si les facteurs de blocage sont nombreux, les chercheurs postulent que les règles constitutionnelles qui organisent le fédéralisme belge – caractérisé par les principes d’exclusivité des compétences, d’autonomie des collectivités politiques, et d’absence de principe hiérarchique – constituent un frein spécifique.
L’Allemagne et l’Autriche, des exemples à suivre ?
L’objectif du projet ? Epingler les obstacles inhérents au fédéralisme belge et identifier de potentiels leviers pour dépasser ces blocages afin de mettre en œuvre des politiques climatiques efficaces. « L’ambition sera de proposer de nouvelles pistes en termes de gouvernance », résume la Pre Romainville.
« Par ailleurs, puisque beaucoup de règles et d’objectifs climatiques nous viennent de l’Union européenne (UE), on va aussi analyser la manière dont d’autres Etats fédéraux parviennent (ou pas) à faire face aux impératifs européens. Et éventuellement s’en inspirer pour dépasser les difficultés qu’on connaît en Belgique », ajoute Emmanuel Slautsky, professeur de droit public et de droit comparé à l’ULB et co-promoteur du projet.
L’équipe étudiera les cas de l’Allemagne et de l’Autriche, les seuls autres pays de l’UE à reposer sur le fédéralisme. Mais il est aussi envisagé de tirer des enseignements du fonctionnement d’autres pays hors Europe, comme le Canada. Un Etat composé d’un gouvernement fédéral et de 13 assemblées législatives provinciales et territoriales.
Un fardeau dont personne ne veut
A ce stade du projet, les chercheurs étudient les difficultés rencontrées par la Belgique lors des négociations du « Burden sharing » (partage du fardeau, en français).
« L’Europe a fixé des objectifs climatiques en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour l’heure, la Belgique doit diminuer ses émissions de 47 % par rapport à 2005. Pour y parvenir, l’effort doit être partagé entre les différentes entités fédérées à travers un accord de coopération dit de “Burden sharing” », rappelle le Dr Karel Reybrouck, postdoctorant à l’UCLouvain et à l’ULB, et participant au projet. « Les négociations sont compliquées, car elles touchent aux intérêts économiques et politiques de chaque entité, qui divergent. Ce qui conduit à pas mal de blocages dans les discussions. »
L’accord pour la période 2013-2020 aura ainsi pris 7 années à se conclure. Et sa transposition en un accord de coopération n’a été actée qu’en 2018. Soit avec 5 ans de retard. Quant à l’accord pour la période 2021-2030, les ministres compétents ne sont pas encore parvenus à un accord global.
Dans ce contexte, l’Etat belge ainsi que les Régions bruxelloise et flamande ont été récemment condamnés pour inaction climatique par la Cour d’appel de Bruxelles. Qui a ordonné à la Belgique une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030. « La coopération politique fonctionne tellement mal qu’on en vient à ce qu’un juge responsabilise les acteurs », déplore la Pre Romainville.
« La grande question de ce projet sera de savoir s’il existe des mécanismes, dans l’infrastructure organisant les interactions entre le Fédéral, les Régions et les Communautés, qui faciliteraient l’obtention d’accords. Car, dans l’état actuel des choses, ça ne marche pas », conclut le Pr Slautsky.