Avec une envergure pouvant atteindre les 45 centimètres, elle est l’une des plus grandes chauves-souris d’Europe. Classé comme espèce vulnérable en Région wallonne, le Grand Murin (Myotis myotis) y est néanmoins en extension, avec environ 1250-2500 individus recensés.
Comme toutes les chauves-souris indigènes, l’espèce est strictement protégée. Sa sauvegarde passe notamment par la préservation de son terrain de chasse, à savoir la forêt. Cependant, dans un contexte de demande croissante en énergie renouvelable, la Wallonie envisage d’investir davantage dans l’installation d’éoliennes en zones forestières, lesquelles représentent 33% de son territoire.
Dans ce cadre, le Département de l’Etude du Milieu Naturel et Agricole du SPW Environnement a commandé une étude sur le Grand Murin. En particulier sur son altitude de vol, un sujet encore peu investigué par la recherche.
Sur la piste du Grand Murin
La recherche a été menée par la coopérative en ingénierie écologique et forestière Ecofirst, en collaboration avec le bureau d’étude CSD Ingénieurs. « L’intérêt de l’étude était de déterminer l’impact potentiel des éoliennes dans les forêts, ou à proximité de celles-ci, sur le Grand Murin. Et d’adapter, si nécessaire, les recommandations en la matière », indique Pierrette Nyssen, bio-ingénieure et experte scientifique chez Ecofirst.
Les partenaires du projet ont cherché à mieux connaître le domaine vital de l’espèce. Pour ce faire, ils ont capturé et équipé de balises 24 individus de deux colonies de reproduction, l’une située dans le village de Ethe (Province du Luxembourg), et l’autre à Lontzen (Province de Liège). « Elles avaient l’avantage d’être assez éloignées l’une de l’autre pour présenter des situations géographiques et des paysages environnants différents », souligne l’experte en chauve-souris.
Ces colonies ont également été choisies pour leurs effectifs, compris entre 100 et 200 individus, ainsi que pour l’accessibilité de leurs gîtes et des points de sortie. « Nous avons souhaité capturer les individus à la sortie du gîte, plutôt qu’à l’intérieur, afin de limiter le dérangement de la colonie », précise Jean-François Godeau, biologiste chez Ecofirst. « A Lontzen, le gîte se trouve dans un tunnel, sous une voie ferrée, il n’y a donc que deux sorties possibles. C’était idéal pour mettre en place un système de capture. A Ethe, la colonie est répartie dans les greniers de deux maisons. »
Une cohabitation possible avec les éoliennes
12 Grands Murins de la colonie de Lontzen, et 12 autres de la colonie de Ethe ont ainsi été équipés d’une balise GPS, couplée à un émetteur VHF. « Le GPS a permis d’enregistrer les localisations de ces individus. L’émetteur VHF, de son côté, nous permettait de retrouver la balise en cas de chute. Comme pour le GPS, elle nous communiquait aussi des informations sur leurs déplacements », explique Pierrette Nyssen. Au bout de quelques nuits, les scientifiques ont recapturé ces chauves-souris afin de récupérer les dispositifs et d’analyser les données enregistrées.
Résultats ? « Concernant les altitudes de vol, on a déterminé qu’en phase de transit (vers le site de chasse), l’espèce se déplace à une hauteur comprise entre 14 et 17 mètres, et entre 5 et 6 mètres au-dessus du sommet de la forêt. En phase de chasse, en revanche, elle vole au sein même de la végétation, entre 3 et 5 mètres sous le sommet de la forêt, et entre 10 et 13 mètres au-dessus du sol. »
Dans le cadre de l’installation d’éoliennes en forêt, ces chiffres suggèrent qu’une distance de 35 mètres entre le bas de pale et la cime des arbres serait suffisante pour réduire significativement les risques de collision avec des individus en transit.
« Cela, c’est en partant du principe que l’espèce ne changera pas de comportement de vol en présence d’éoliennes… Pour l’heure, on ne sait pas si les éoliennes ne seront pas considérées par ces chauves-souris comme des arbres à survoler. Avec le risque de se retrouver à des altitudes où elles seront susceptibles d’être touchées par les pales. On ignore aussi si le Grand Murin ne sera pas effarouché par le bruit des éoliennes, amenant les individus à déserter leurs terrains de chasse. »
Les pessières, un terrain de chasse inattendu
Par rapport aux terrains de chasse, justement, l’équipe a été surprise de découvrir que l’espèce fréquente les forêts d’épicéas. « Dans la littérature scientifique, le terrain de chasse du Grand Murin est strictement associé à des vieilles forêts de feuillus, de bonne qualité. Pourtant, on a pu observer que certains individus étudiés, au sein des deux colonies, s’étaient rendus dans des monocultures d’épicéas. Et ce, alors même qu’il existait des forêts feuillues diversifiées disponibles à proximité », s’étonne Jean-François Godeau.
Or, c’est précisément dans ce type de forêts, considérées comme à « faible valeur écologique », que sont autorisés des projets de parcs éoliens… « Cela pose pas mal de questions sur le choix de ces sites. Dans notre rapport, nous recommandons ainsi de réaliser des études complémentaires sur l’habitat de chasse et les habitudes alimentaires de l’espèce, afin d’orienter au mieux les actions de conservation de nature en Région wallonne », concluent les deux scientifiques.