Série : La politique, c’est la vie (5/6)
À côté du vote électoral, la participation citoyenne joue aussi un rôle important dans le bon fonctionnement de nos démocraties, en associant la population dans l’élaboration de différentes politiques publiques. C’est-à-dire les actions d’un Etat qui visent l’intérêt général, comme améliorer l’accès à l’emploi ou au logement, assurer un enseignement de qualité, développer l’économie, etc.
La démarche souffre toutefois de lacunes récurrentes, mettant à mal son efficacité. De là, est né le projet « Let them play! », porté par le Policy Lab de l’ULB et financé par le programme « Actions blanches » de l’université.
L’objectif ? Développer un jeu de société qui servirait à encadrer le processus de participation citoyenne. Une stratégie qui a déjà fait ses preuves dans une précédente étude menée par le Policy Lab.
Les défauts de la participation citoyenne
« La littérature scientifique sur le sujet épingle différentes failles lors de ces processus. Parmi elles, on peut citer la faible implication des citoyens et, surtout, un phénomène de désengagement au fur et mesure de la procédure. Si les gens s’investissent au départ, ils arrêtent de venir en cours de route », informe Fanny Sbaraglia, chercheuse au Centre d’Étude de la Vie Politique et au Policy Lab de l’ULB.
« On note aussi l’apparition de “professionnels” de la participation citoyenne – des citoyens qui vont systématiquement s’impliquer dans ces processus –, qui présentent souvent le même profil. Ce qui peut conduire à un manque de représentativité. »
Autre souci récurrent : la difficulté d’estimer l’impact de cette pratique. « Elle vise à échanger des idées, des pistes de solutions. Mais la manière dont ces dernières sont ensuite mises en place par l’action publique est beaucoup plus nébuleuse et difficile à tracer. »
Pour pallier ces problèmes, Fanny Sbaraglia et ses collègues, Aurélie Tibbaut et Emilie van Haute, ont eu l’idée de fabriquer un jeu comme outil de co-création de politique publique, adaptable à n’importe quelle problématique (le déploiement de la 5G à Bruxelles, la problématique des vols de nuit, la gestion de crise…).
L’univers du jeu au service du débat
Leur postulat est, qu’en rendant certains processus plus ludiques, le jeu peut favoriser l’engagement des participants. Mais aussi les remettre dans des postures plus égalitaires, puisque le jeu tiendra le rôle de médiateur dans le débat. L’éloquence ou les connaissances des uns et des autres ne primeraient plus.
« Ce serait donc une solution pour générer une participation plus durable et inclusive », précise Fanny Sbaraglia. « De plus, le jeu offre la possibilité de garder une trace des éléments qui ont été discutés au fur et à mesure, et donc de mieux évaluer, par après, l’impact de la démarche. »
La scientifique a d’ailleurs déjà travaillé à l’élaboration d’un jeu de plateau avec Actiris, l’organisme chargé de la politique de l’emploi en région bruxelloise : « On a travaillé en 2021 sur la localité de Neder-Over-Heembeek (au nord de Bruxelles) où les services d’aide à l’emploi étaient peu connectés entre eux. Autour de la table, on a réuni un public varié (habitants du quartier, demandeurs d’emploi, acteurs associatifs et publics) qui a co-construit des pistes de solutions pour améliorer la situation. »
« À l’aide d’un jeu de plateau que nous avons conçu, les participants ont développé pendant 3 matinées leurs idées à travers différentes étapes : brainstorming, décisions, conceptualisation des décisions et diffusion. »
Allier politiques publiques et participation citoyenne à l’univers du jeu est, d’autre part, une idée qui a le vent en poupe depuis quelques années. Citons, à ce titre, les jeux de cartes « La participation citoyenne ? Pitié non ! », ou « Evalophobia », produits par l’entreprise bruxelloise Strategic design scenarios.
Un prototype dans l’année
Dans le cadre de « Let them play! », les chercheuses ont d’ores et déjà défini le contenu du jeu et ses différentes étapes. La première consistera à établir un diagnostic : ce qui existe à l’heure actuelle pour contrer la problématique ciblée. Ce qui fonctionne, et ce qui ne fonctionne pas.
Partant du diagnostic partagé, les joueurs seront ensuite invités à réfléchir à la manière d’améliorer la politique publique sur la thématique ciblée. « Le but sera de déterminer les besoins des parties prenantes et le(s) meilleur(s) moyen(s) de les mettre en commun. C’est une étape dans laquelle on veut favoriser la créativité, en prenant en compte la perception de chacun ». La dernière étape du jeu, enfin, visera la consolidation des solutions proposées, en décidant celles qui seront promues, pourquoi, et comment.
« Avec ce jeu, la participation des joueurs viendrait véritablement soutenir l’amélioration de la politique publique. Une des grandes difficultés dans les processus actuels est d’arriver à faire cohabiter différents types de « savoir » (celui des experts, des citoyens, des administrations…). Le jeu visera donc à ce que ces savoirs se connectent, que les participants s’écoutent et apprennent les uns des autres. On veut aussi que tout le monde saisisse la complexité d’élaborer une politique publique, qui dépend de cadres légaux et institutionnels, de valeurs, de ressources financières, humaines… »
Dans les semaines à venir, l’équipe va traduire ce contenu en éléments ludiques avec l’aide d’un graphiste. « Le jeu prendrait potentiellement la forme d’un jeu de plateau, où l’on passerait par différentes cases pour établir un diagnostic, puis ériger des pistes de solutions. » Les partenaires du projet espèrent disposer d’un prototype d’ici à l’été, qui sera ensuite testé sur un panel de citoyens.