Pr Eric Lambin © Christian Du Brulle

L’énergie renouvelable n’échappe pas aux compromis politiques en matière d’environnement

5 juin 2024
Carte Blanche par Eric Lambin, Professeur à l’UCLouvain
Durée de lecture : 6 min

Tant la science environnementale que les politiques environnementales sont des affaires compliquées. L’une des raisons est la forte interdépendance entre les différentes problématiques liées à la transition vers une société durable. Des progrès sur un front peuvent entraîner un recul sur un autre.

Par exemple, de nombreux projets de plantation forestière sont basés sur une espèce d’arbre à croissance rapide pour maximiser le piégeage du carbone dans la végétation. Ces monocultures ont toutefois un effet néfaste sur la biodiversité.

Autre exemple : certes, l’agriculture bio diminue la pollution chimique des sols par hectare. Toutefois, ses rendements sont inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle. Dès lors, à production égale, une plus grande superficie doit être exploitée en agriculture bio qu’en agriculture conventionnelle, aux dépens des écosystèmes naturels.

La transition vers une société durable requiert donc de faire des compromis. Et là où c’est possible, de chercher des synergies entre différents objectifs.

Des impacts territoriaux multiples à ne pas négliger

La transition énergétique offre un parfait exemple de ce défi. Pour décarboner nos économies, il est nécessaire, d’une part, d’électrifier de nombreux secteurs consommateurs d’énergie, de la voiture aux aciéries. Et d’autre part, de produire l’essentiel de cette électricité à partir de sources neutres en carbone, comme l’éolien et le solaire.

Cela a toutefois un coût environnemental. En effet, la densité de puissance, c’est-à-dire la puissance de l’énergie produite par unité de surface, de l’énergie solaire et éolienne est nettement inférieure à celle de l’énergie fossile ou nucléaire. Cette densité varie entre 0.9 et 2 watts par m2 pour l’éolien et entre 5 et 20 watts par m2 pour le photovoltaïque, comparé à entre 500 et 10,000 watts par m2 pour les combustibles fossiles. A production égale, les unités de production renouvelables occupent dès lors beaucoup plus d’espace que les unités de production conventionnelles.

Si l’essentiel de l’énergie primaire de chaque pays devait provenir des énergies renouvelables, jusqu’à 2% des territoires nationaux pourraient être consacrés à cette production. C’est autant que l’espace qu’occupent toutes les villes, le bâti et les infrastructures à l’échelle mondiale.

On peut s’attendre à ce que les impacts de l’énergie solaire et éolienne sur les paysages et les écosystèmes naturels s’accroissent rapidement . En effet, ces énergies passeront de moins de 15% du mix énergétique mondial aujourd’hui à une part beaucoup plus élevée dans les prochaines décennies.

Ces impacts territoriaux s’ajoutent à ceux de l’activité minière nécessaire pour extraire les métaux et minéraux indispensables aux nouveaux systèmes électriques. De plus, la construction de nouvelles lignes à haute tension pour distribuer l’électricité produite à partir des centrales solaires et éoliennes fragmente le paysage et génère des nuisances pour les habitants à proximité.

Contraintes sociales, écologiques, paysagères…

Cette empreinte spatiale élevée du solaire et de l’éolien engendre une concurrence entre la production de ces énergies et d’autres utilisations des terres, comme l’agriculture, les forêts, les aires de protection de la nature et les zones d’habitat.

Cela alimente une opposition croissante du public à ces projets. L’actualité fait régulièrement écho de riverains qui se mobilisent contre un projet éolien, d’agriculteurs qui s’insurgent contre un projet de ferme solaire sur des terres agricoles, de communes vent debout contre un projet de ligne à haute tension…

La législation sur l’aménagement du territoire doit donc définir de nouvelles règles pour trouver un compromis entre la lutte contre le changement climatique, la préservation des écosystèmes et de la beauté des paysages.

Jusqu’à présent, les aspects spatiaux de la transition énergétique ont surtout été étudiés sur base du potentiel technique et économique des territoires pour produire ces énergies renouvelables. Les études ont peu pris en compte les contraintes sociales, écologiques et paysagères de la transition énergétique. Par conséquent, le potentiel de déploiement de ces énergies risque d’être surestimé. Ceci pourrait devenir un frein à une sortie rapide des énergies fossiles, avec des conséquences désastreuses pour le climat.

La sobriété énergétique comme troisième voie

Est-il possible de concevoir des scénarios de déploiement de l’énergie solaire et éolienne qui minimisent les conflits avec d’autres usages des terres ? En réalité, il y a deux manières de mettre en œuvre un système énergétique basé sur le renouvelable. Soit un système centralisé basé sur de grandes unités de production qui utilisent de manière exclusive les terres. Soit un système très décentralisé, avec des petites éoliennes et des panneaux solaires disséminés sur des infrastructures existantes comme les toits des bâtiments et hangars ainsi que les ombrières de parking, qui produisent l’électricité là où elle est consommée.

Les turbines éoliennes et panneaux photovoltaïques peuvent aussi être colocalisés avec d’autres activités productives. C’est le cas de l’« agrivoltaïque », qui place les panneaux photovoltaïques à une hauteur suffisante pour permettre une activité agricole au sol. Et du « flotovoltaïque », qui fait flotter des panneaux photovoltaïques sur des réservoirs d’eau à l’amont des barrages.

Les systèmes centralisés et décentralisés ont chacun leurs avantages et inconvénients. Le système énergétique actuel étant très centralisé, notre réseau électrique a été conçu pour distribuer l’énergie à partir de grosses unités de production conventionnelles. Reproduire ce système pour l’énergie renouvelable est plus économe, mais a un effet important sur le territoire par son usage exclusif des terres.

Quant au système décentralisé, si son empreinte terrestre est moindre, il nécessite de repenser l’infrastructure de distribution de l’électricité et ne permet pas de réaliser des économies d’échelle. Il coûte donc plus cher. Pensez par exemple aux équipes techniques qui doivent effectuer la maintenance périodique d’un grand nombre de petites unités de production dispersées à travers les villes et campagnes plutôt que de concentrer leur attention sur un petit nombre de très grandes centrales.

Afin d’identifier des options réalistes pour déployer les énergies renouvelables de manière durable, il faut prendre en compte les choix, priorités et contraintes de toutes les parties prenantes : les producteurs et distributeurs d’énergie, les gestionnaires des terres, les autorités publiques, et les acteurs de la société civile.
Une autre voie possible est celle de la sobriété énergétique. Après tout, la meilleure énergie est celle qui n’est pas consommée.

Il y a deux manières de diminuer la consommation d’énergie. La première repose sur une efficacité énergétique accrue : faire autant avec moins d’énergie, par exemple en isolant les maisons et en se déplaçant en train plutôt qu’en voiture ou en avion. La deuxième manière passe par l’adoption d’un système de valeurs post-matérialistes, c’est-à-dire des valeurs moins orientées vers le confort matériel, mais plus marquées par la poursuite de la qualité de la vie, l’accès à l’information et au savoir, la vie sociale et la recherche d’une paix intérieure.

En réalité, il faut à la fois diminuer la consommation d’énergie et, pour celle dont nous aurons toujours besoin, remplacer les énergies fossiles par de l’énergie renouvelable produite avec le minimum d’impacts sur les territoires. Un beau défi pour l’avenir !

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