Coup de jeune technologique dans les musées

15 juillet 2024
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Casques de réalité virtuelle, mobilier tactile, interactions avec les contenus, certains musées osent la carte de l’immersion. Pour rajeunir et diversifier leur public. Mais aussi pour proposer d’autres façons d’accéder à la culture et aux connaissances. Des entreprises wallonnes actives dans le digital prennent part à ce challenge. C’est le cas d’Hovertone et de Fomo.scene. Leurs fondatrices ont profité du Women in Digital (WID) Summit, organisé au TRAKK à Namur, pour venir faire le point sur leurs réalisations.

Expérience immersive dans les lieux publics

Pour Joëlle Tilmanne et Nicolas d’Alessandro, tous deux ingénieurs et cofondateurs d’Hovertone, l’histoire a débuté dans le laboratoire de recherche dans lequel ils travaillaient. « Déjà à l’époque, tout ce qui avait trait à l’art et aux technologies nous passionnait », se remémore Joëlle Tilmanne.

« Ce qu’on aime, c’est provoquer l’émotion, susciter l’interaction. On a envie de mettre les gens en mouvement, de leur permettre d’interagir avec le contenu, d’être acteurs de l’expérience muséale. C’est cela qui nous porte et nous anime dans les installations que nous proposons. Pour marquer les esprits et faire vivre des histoires, on utilise une panoplie de nouvelles technologies. »

« Applications avec de la réalité augmentée, projections à 360 degrés, etc. Il y a tant de possibilités, que nous n’avons pas de catalogue à proprement parler. Par contre, en interne, nous avons toute une série de briques technologiques à utiliser en fonction du projet. On essaie d’avoir un mélange entre une interaction dans le monde physique et du contenu numérique, c’est ce qu’on appelle le «  Phygital » », explique la cofondatrice d’Hovertone, qui se définit comme un studio de designers d’interactions et de créateurs de technologies.

Cela peut prendre différentes formes. Par exemple, à Sparkoh, le parc Parc d’aventures scientifiques situé à Mons, un mur en bois de 40 mètres carrés a été rendu tactile. « Lorsque vous touchez le mur, il se réveille, et des choses apparaissent. Cette invitation à l’exploration fonctionne tant sur les grands que sur les petits. » Un peu plus loin, c’est un sol qui a été rendu tactile et agrémenté de vidéoprojections, permettant d’expliquer aisément le tableau des éléments chimiques de Mendeleïev.

Gigantesque écran tactile de 40 m² au Sparkoh © Hovertone

Voyage au cœur de l’œuvre de Van Eyck

L’entreprise a également travaillé sur une installation fascinante au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar). Alors que l’Institut Royal du Patrimoine Artistique (KIK-IRPA)  venait de numériser des peintures de Van Eyck avec une résolution absolument incroyable, Hovertone a imaginé une expérience immersive. Le visiteur, debout devant une projection géante d’un tableau du grand-maître, se retrouvait à l’intérieur du tableau. Selon sa position, un zoom s’enclenchait sur une partie particulière de l’œuvre.

« L’objectif était d’expliquer que certains éléments des tableaux de Van Eyck se retrouvaient d’une œuvre à l’autre. Par exemple, la manière dont il dessinait les yeux, les reflets de la lumière, etc. Ainsi, lorsque le visiteur se place d’une certaine façon face à une œuvre, le zoom s’actionne sur un détail, ici l’œil, et sans s’en rendre compte, celui-ci devient l’œil d’un autre tableau, lequel apparaît lors du “dézoom”. Cela permet de voyager de tableau en tableau et de détail en détail. Et chaque expérience est différente puisque c’est le visiteur qui choisit vers quel détail aller », explique Joëlle Tilmanne.

Pour réaliser un tel projet, l’entreprise a pu compter sur son équipe multidisciplinaire : scénographe, muséographe, créateur de contenu, et créateur des nombreux modules technologiques.

Le casque RV, une immersion en solo

Les casques de réalité augmentée ? Ce n’est pas l’ADN d’Hovertone. « Pour nous, l’immersion, ça doit pouvoir se vivre à plusieurs. Ce que l’on essaie de proposer, ce sont des expériences où les visiteurs ont le loisir d’interagir avec les personnes avec lesquelles ils sont venus. Ils peuvent tester des choses ensemble ou regarder quelqu’un qui interagit et participer ainsi à l’expérience d’une autre façon », précise Joëlle Tilmanne.

Au contraire, dans l’univers de Fomo.scene, les casques de réalité virtuelle, de réalité augmentée et de réalité mixte (XR) sont centraux. « Avec Marine Haverland, cocréatrice de Fomo.scene avec moi, on est partie du constat qu’il y avait de plus en plus d’œuvres XR abouties et intéressantes, mais que peu de lieux culturels et de centres d’art étaient équipés pour les montrer. C’est ainsi que nous avons créé notre structure qui propose des services de curation, d’intermédiation, de mise en relation, et aussi de production d’évènements artistiques, d’expositions numériques et d’installations », explique Laure Hendrickx.

De 2018 à 2022, elle a été mandatée pour développer la réalité virtuelle à Bozar. Les casques sont disposés dans de petites alcôves, sortes de cocons protecteurs qui « protègent » les visiteurs coupés du reste du monde par cet équipement multimédia. « Ces dispositifs immersifs ont remporté un grand succès même auprès des visiteurs âgés de plus de 70 ans. Et ont permis à de nouveaux publics de découvrir le musée. »

« Lors des confinements successifs, nous avons créé la « VR to go », un modèle de location court-terme (48 à 72heures) de casques. Ceux-ci étaient désinfectés et vérifiés techniquement pour pouvoir repartir chez le locataire suivant. Ce fut une expérience très intéressante en termes d’accessibilité de la culture. »

Le cas de Bozar est assez unique. En effet, peu de musées belges ont choisi de s’inscrire aussi intimement dans le numérique. «  Si l’on veut que nos musées restent pertinents, qu’ils continuent à parler aux jeunes générations, il est nécessaire qu’ils s’adaptent aux nouvelles technologies et aux nouvelles manières d’interagir avec les contenus. Le recours au numérique permet clairement de toucher un public plus large et plus jeune, c’est un outil de démocratisation de la culture », conclut Laure Hendrickx.

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