Chaque jour, nous émettons des éructations sans même y penser, un geste aussi naturel que nécessaire. Familièrement appelés « rots » ou « renvois », ils sont le résultat d’une purge de l’estomac. Pourtant, chez certaines personnes, cette expulsion de gaz est tout simplement impossible. En médecine, on parle du syndrome R-CPD (Dysfonction Rétrograde du Crico-Pharyngien).
Cette affection reste largement méconnue, même par les professionnels de la santé. C’est seulement en 2019 que l’incapacité d’éructer a été identifiée comme une pathologie à part entière. Depuis, plusieurs scientifiques cherchent à mieux comprendre ce dysfonctionnement. C’est le cas de Jérôme Lechien, chef du service de chirurgie à l’Université de Mons, et chirurgien ORL à l’hôpital Foch (Paris), au centre hospitalier EpiCURA (Province du Hainaut) et au CHU Saint-Pierre (Bruxelles).
Un « rot » en travers de la gorge
« En réalité, il y a encore quelques mois, je ne connaissais pas non plus l’existence de cette maladie ! », fait savoir le Dr Lechien. « Je l’ai découverte grâce à la Dre Marie Mailly, une collègue attachée à l’hôpital Foch, qui a traité une centaine de patients souffrant de ce syndrome. Ça m’a tellement intrigué que j’ai décidé de mettre en pause toutes mes recherches pour réaliser une revue de la littérature sur le sujet. J’ai ainsi collecté les données de 895 cas décrits dans des publications médicales. »
Concrètement, pendant les repas ou lorsque nous buvons, de l’air est avalé. Les boissons gazeuses, mais aussi fumer, parler en mangeant, ou encore mâcher du chewing-gum, favorisent cette accumulation d’air dans l’estomac. En temps normal, lorsqu’on en a trop ingéré, l’organe va expulser ce gaz par le haut.
« En cas de R-CPD, le gaz remonte bel et bien de l’estomac, mais au lieu de ressortir par la bouche, il va s’accumuler et dilater l’œsophage, provoquant des douleurs et des bruits thoraciques, comme des coassements de crapaud », précise le Dr Lechien. « Faute de pouvoir s’échapper, le gaz va redescendre dans l’estomac, entraînant des ballonnements et flatulences. »
Un sphincter trop tonique
Ces maux conduisent généralement les gens à consulter un ou plusieurs spécialistes. « Souvent, on traitera leurs symptômes en leur prescrivant, par exemple, des antispasmodiques, mais sans en déterminer la cause. Ou en leur annonçant que c’est psychosomatique. »
Sans surprise, l’étude du Dr Lechien signale une errance médicale importante : « Près de 79% des patients diagnostiquent eux-mêmes leurs symptômes via des forums en ligne, souvent après des consultations médicales et examens infructueux. »
Des chercheurs américains ont pourtant démontré, il y a maintenant 5 ans, la réalité de cette pathologie. Révélant que les patients atteints présentent une « hypertonicité du sphincter supérieur de l’œsophage ». Cette valve musculaire, située à la jonction de la gorge et de l’œsophage, serait trop tendue, empêchant l’éructation.
Une pathologie qui se soigne
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe un traitement simple et efficace à ce problème : le botox. « La revue de la littérature montre, en effet, que l’injection de toxine botulique dans le sphincter œsophagien supérieur s’est avérée efficace dans plus de 92% des cas ! », rapporte le médecin.
« En réalité, le botox est déjà utilisé pour de nombreuses maladies en ORL où l’on constate une contraction anormale des muscles. Ce qui est surprenant dans ce cas-ci, c’est la durée de son effet. Alors que la toxine est censée agir 6 mois, on constate une absence de récidive 2 ans après l’injection chez plus de 50% des patients. On ignore encore totalement pourquoi. »
Une origine encore incertaine
Concernant l’origine du R-CPD, il semble exister une prédisposition familiale, observée dans près de 28% des cas. « A noter que, si certains naissent avec cette pathologie, d’autres vont la développer durant l’enfance et l’adolescence. Dans ce cas-là, la littérature pointe que le reflux gastrique jouerait un rôle.»
Cette idée sera particulièrement investiguée dans le cadre d’un nouveau projet piloté par Jérôme Lechien, qui débutera prochainement. « Mon hypothèse est que le reflux gastrique sévère altère la contraction du sphincter, jusqu’à développer le R-CPD.»
Cette nouvelle étude visera aussi à concevoir un questionnaire standardisé, qui sera exploité dans le cadre d’une étude clinique. « Il permettra de donner un score précis chez les participants sur la sévérité des symptômes avant et après traitement au botox.»
En parallèle, le Dr Lechien compte se former à injecter du botox dans l’œsophage pour traiter ses patients. « Bien que cette incapacité à roter ne soit pas dangereuse, et que beaucoup vivent avec, cela a un impact important sur la qualité de vie. On espère que la médiatisation du syndrome aidera les personnes atteintes à sortir de l’errance médicale. Et, surtout, de leur faire savoir qu’un traitement existe », conclut Jérôme Lechien.