Natacha Duroisin, professeure et cheffe du service d’EDUcation et des Sciences de l’Apprentissage à l’Université de Mons © DR

Les défis cachés de la jeunesse

12 août 2024
Carte blanche de Natacha Duroisin, professeure et cheffe du service d’EDUcation et des Sciences de l’Apprentissage à l’Université de Mons
Temps de lecture : 6 minutes

Ce 12 août est la Journée internationale de la jeunesse, un moment privilégié pour réfléchir aux défis majeurs auxquels les jeunes font face dans notre société. Parmi ces défis, l’augmentation des dépendances et des addictions, l’omniprésence et l’influence croissante des écrans ainsi que les difficultés et les incertitudes relatives à l’orientation scolaire occupent une place centrale. Ces trois thématiques, bien qu’apparemment distinctes, sont étroitement liées par les pressions sociales et culturelles qui pèsent sur la jeunesse d’aujourd’hui.

Des adolescents à la recherche constante de récompenses

Puisque le développement du cerveau s’effectue de l’arrière vers l’avant et qu’il ne s’achève qu’entre 25 ans et 30 ans, l’adolescence est marquée par des changements neurologiques importants.

Ainsi, le cortex préfrontal – situé à l’avant du cerveau et responsable des fonctions cognitives de haut niveau – est encore en maturation, ce qui permet notamment d’expliquer la difficulté accrue de la part des adolescents à anticiper et à comprendre les conséquences de leurs actes. À cela, s’ajoute l’influence du circuit de la récompense, qui incite l’adolescent à rechercher toujours plus de stimulation, rendant ainsi le jeune davantage vulnérable aux comportements à risque, aux dépendances et aux addictions.

Si les dépendances et les addictions sont multiples à l’adolescence (écrans, réseaux sociaux, jeux vidéo, tabac, alcool…), la consommation de cannabis est préoccupante. Malgré la banalisation croissante de cette substance par notre société, il parait important de rappeler que cette drogue a des effets dévastateurs sur le cerveau et que ceux-ci sont d’autant plus exacerbés en cas de prises précoces lors de l’adolescence (1).

En effet, l’exposition au tétrahydrocannabinol (THC) et au cannabidiol (CBD), composants psychoactifs du cannabis, interfère avec le développement cérébral, ce qui affecte plusieurs des fonctions exécutives, telles que la mémoire de travail, l’attention, la planification et la flexibilité cognitive. Plusieurs études (Levine et al., 2017 ; Mendola & Monville, 2023) ont démontré que la consommation régulière de cannabis dès l’adolescence entraîne une baisse significative du quotient intellectuel (QI), des troubles de l’humeur et, dans certains cas, des psychoses à l’âge adulte.

Les adolescents, en quête de nouvelles expériences et stimulés par un environnement médiatique qui glorifie souvent les prises de risques, sont plus enclins à expérimenter ces substances. Une autre dépendance à laquelle les adolescents doivent faire face est la dépendance aux écrans et, en ce compris, aux réseaux sociaux pour certains ou aux jeux vidéo pour d’autres. Là encore, c’est le circuit de la récompense qui est activé et qui soumet les jeunes à de multiples défis.

L’attrait des écrans et le mirage du métier d’influenceur

Dans un monde saturé par les médias numériques, les jeunes sont constamment à la recherche de récompenses, c’est-à-dire de validations sociales mesurées par le nombre de « likes » et de « followers ». Cette quête incessante de reconnaissance peut engendrer une grande fragilité émotionnelle, surtout lorsque les attentes ne sont pas satisfaites.

Cherchant à reproduire les succès visibles sur Instagram, YouTube ou TikTok, beaucoup voient dans le métier d’influenceur une voie rapide vers la célébrité et la réussite financière. De nombreux jeunes perçoivent les influenceurs comme des modèles.

Pourtant, la réalité derrière ces carrières est souvent complexe et exigeante. Être influenceur requiert une innovation continue, une présence numérique constante et une capacité à capter et maintenir l’attention dans un environnement en perpétuelle évolution. Cette pression pour innover et rester pertinent dans l’univers des réseaux sociaux ne fait qu’exacerber la recherche de gratification immédiate, poussant certains adolescents à adopter des comportements à risque et à développer des dépendances.

Ces dynamiques soulèvent des questions cruciales concernant l’impact de ces modèles de réussite sur les aspirations professionnelles des jeunes et leur orientation.

Orientation scolaire : entre rêves et réalités, la délicate question de l’esprit d’entreprendre

L’illusion d’une carrière rapide et lucrative dans le monde de l’influence détourne parfois les adolescents des filières traditionnelles, académiques, techniques ou professionnelles, contribuant à une désorientation face aux réalités du marché du travail.

Cette désorientation est d’autant plus préoccupante dans un contexte où la société a un besoin croissant de compétences techniques et de professionnels qualifiés. L’incertitude professionnelle qui découle de ce phénomène met en lumière un décalage inquiétant entre les aspirations des jeunes et les réalités du marché du travail. Les métiers techniques, souvent perçus comme moins prestigieux, souffrent d’un manque d’attractivité alors qu’ils offrent des perspectives de carrière solides et stables. Dans ce contexte, développer l’esprit d’entreprendre chez les jeunes peut paraître, sous certaines conditions, comme une réponse prometteuse aux défis actuels.

L’éducation à l’entrepreneuriat, soutenue par des initiatives comme celles de Wallonie Entreprendre, vise à renforcer la confiance des jeunes en leurs capacités, à les encourager à innover et à les préparer à devenir les acteurs économiques et sociaux de demain. Cependant, cette dynamique entrepreneuriale doit être accompagnée d’une solide réflexion critique sur les modèles de réussite véhiculés par les médias et les réseaux sociaux. Par exemple, le métier d’influenceur, bien que perçu par beaucoup comme une forme d’entrepreneuriat moderne, soulève des questions sur la durabilité et la plus-value sociétale, sur le moyen et le long terme, de ce modèle.

L’éducation de la jeunesse, tous impliqués !

Pour aider les jeunes à naviguer dans ce monde complexe, plusieurs pistes peuvent être envisagées et soutenues par les pouvoirs politiques, les acteurs de l’éducation au sens large et évidemment les parents.

D’abord, il est crucial de reconnaître que les jeunes sont plus que jamais vulnérables aux dépendances et aux addictions. Le renforcement de programmes de prévention, qui mettent en avant les impacts cognitifs et sociaux à long terme de la consommation de différentes substances psychoactives (comme le cannabis) devrait être une priorité. Des campagnes ciblées, s’adressant directement aux jeunes, pourraient ainsi aider à déconstruire les mythes autour de la consommation de drogues, d’alcool, d’écrans… Ces initiatives, portées également par les parents, doivent également inclure une sensibilisation à l’importance de l’estime de soi, à la santé mentale et à la gestion du stress.

Ensuite, il parait nécessaire de renforcer l’éducation aux médias. À l’école comme à la maison, il est crucial d’éduquer les jeunes à décoder les messages véhiculés par les réseaux sociaux et à comprendre les réalités sous-jacentes de certains métiers. Cette éducation doit les aider à développer un esprit critique et à faire des choix éclairés, notamment en termes d’avenir professionnel.

Enfin, il est également important de repenser l’accompagnement à l’orientation scolaire pour mieux aligner les aspirations des jeunes avec les besoins du marché du travail. L’approche « orientante » et les programmes de soutien à l’entrepreneuriat sont des pistes pour encourager les jeunes à s’engager dans des projets qui ont du sens, en lien avec les enjeux sociaux, économiques, culturels et environnementaux actuels tels que la sobriété numérique ou l’économie sociale.

En discutant avec leur(s) adolescent(s) de leurs points forts, de leurs aspirations et en les confrontant aux réalités de terrain (par des visites en milieux professionnels notamment), les parents doivent également jouer un rôle déterminant dans l’orientation de leur(s) jeune(s). Il va de soi que ces efforts n’ont de sens que si les filières techniques et professionnelles sont rapidement revalorisées et que toute l’attention nécessaire est portée aux transitions scolaires.

En conclusion, la jeunesse d’aujourd’hui est confrontée à des défis complexes qui nécessitent une approche globale et concertée. En soutenant les jeunes dans leur développement personnel et professionnel, en les éduquant aux réalités du monde numérique, en les sensibilisant aux dangers qui les guettent et en les encourageant à entreprendre de manière responsable, nous pouvons les aider à construire un avenir où ils pourront s’épanouir pleinement.

 

(1) Pour plus d’informations, voir la conférence intitulée « Et le cerveau dans tout ça ? Les adolescents face aux addictions » disponible ici.

 

Note : À l’occasion de son dixième anniversaire, Daily Science donne chaque mois carte blanche à l’un(e) ou l’autre spécialiste sur une problématique qui l’occupe au quotidien. Et ce, à l’occasion d’une des journées mondiales proclamées par l’Assemblée générale de l’ONU. Aujourd’hui, la Journée internationale de la jeunesse.

 

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