Plus de 4500 ans ! Dans les White Mountains, une région aride de l’est de la Californie, se dressent des arbres à l’âge exceptionnel. Depuis leur découverte, les pins Bristlecone ont été mis à l’abri des bûcherons et seuls les scientifiques peuvent en prélever des échantillons, à condition qu’ils n’affectent pas leur santé. Tom De Mil, dendrochronologue et professeur à Gembloux Agro-Bio Tech, a analysé, à l’aide d’une méthode qu’il a développée utilisant la tomodensitométrie aux rayons X, des carottes prélevées dans le tronc d’une quarantaine de ces pins. De quoi retracer les températures estivales du passé.
Les cernes aux rayons X
En région tempérée, les saisons s’observent dans le bois. Chaque année, un cerne est produit. Il est composé de bois de printemps et de bois d’été. Le premier, clair et aéré, est composé de gros vaisseaux capables de faire circuler l’eau essentielle au débourrement et à la croissance printanière de l’arbre. Sous nos latitudes, le bois d’été, plus foncé et plus dense, se met en place dès le mois d’août, il se caractérise par une grande richesse en fibres et une pauvreté en vaisseaux, laquelle s’explique par un ralentissement de l’activité de l’arbre.
Sous les tropiques, dénués de véritables saisons, cette succession annuelle est beaucoup moins claire. Pour passer outre cette difficulté, Pr Tom De Mil a développé, durant sa thèse, une méthode utilisant la tomodensitométrie aux rayons X. Il s’agit d’une technique de radiographie permettant de reconstruire le volume d’un objet. « Dans le domaine médical, où la tomodensitométrie aux rayons X est très utilisée, la résolution est de 200 micromètres. Pour nos travaux, nous avons poussé celle-ci jusqu’à 10 micromètres. L’excès de radiations qui en découle n’est pas un problème pour un échantillon de bois mort… », explique-t-il.
« Cette technique, je l’ai adaptée pour mettre en exergue les variations de densité du bois, permettant de dater le bois tropical. C’est aussi celle-ci qui a été utilisée pour dater les pins californiens Bristlecone. Ceux-ci vivent dans des conditions froides et sèches conduisant à des anneaux beaucoup plus minces qu’en région tempérée, et donc plus difficiles à observer. De plus, ces arbres sont excessivement tortueux, ce qui rend difficile, voire impossible, l’emploi des techniques de dendrochronologie « classiques ». »
En plus de la datation des pins, la tomodensitométrie aux rayons X donne également accès, via la création d’images 3D de la succession des cernes de pins étudiés, à la température qu’il régnait lorsque le bois d’été de densité maximale a été fabriqué.
Une conservation à très long terme
A l’aide d’une tarière, une carotte du diamètre d’un crayon a été prélevée dans le tronc de 51 de ces pins Bristlecone ancestraux. La blessure ne leur cause pas de dommages en raison du climat froid et extrêmement sec, régnant à 3000 m d’altitude, empêchant le développement de champignons et de tout autre micro-organisme.
C’est pour cette même raison que les arbres morts ne s’y décomposent pas. « Quand un arbre meurt, il reste encore là pour des milliers d’années. A l’instar des roches, la seule dégradation qu’il subit, c’est l’érosion par le vent », précise Pr De Mil.
Dès lors, si les pins Bristlecone vivants peuvent nous raconter l’évolution de la température estivale du Sud-Ouest des Etats-Unis durant les quelque 4500 dernières années, les arbres morts devraient permettre de remonter bien plus loin encore dans le temps. Jusqu’à 10.000 ans en arrière, date de la fin de la dernière glaciation, donc du retrait des glaciers, et de l’arrivée des arbres dans cette contrée.
Un code-barre de référence
« Lorsqu’on analyse un pin mort, on ne sait pas quand sa vie s’est arrêtée. Dans les alentours, il y a d’autres pins bien vivants. Imaginons que l’on analyse les cernes de l’un d’eux âgé de 2000 ans. Le dendrochronogramme donne une sorte de code-barre du climat pour les 2000 dernières années. Il est considéré comme une référence, les arbres réagissant de la même façon aux variations de température. »
« Partant de cette référence, en pointant la succession de petits et grands cernes, on peut retrouver, dans le dendrochronogramme du pin mort, l’endroit à partir duquel la succession de petits et grands cernes est similaire à celle du pin vivant âgé de 2000 ans. Cela permet de dater la mort du pin mort, mais aussi d’avoir accès à des informations climatiques plus anciennes que l’âge de l’arbre vivant de référence… En faisant de la sorte avec différents pins morts, on espère pouvoir remonter jusqu’à 10.000 ans. »
Pr Tom De Wil a d’ores et déjà pu remonter le temps jusqu’en 1625. Les prochains mois et années seront consacrés à l’étude du climat des périodes plus anciennes. Les échantillons actuellement en sa possession devraient permettre la reconstruction des températures annuelles de la saison chaude du Sud-ouest américain jusqu’à 2575 avant notre ère. Ceux-ci ont été prélevés en 2009 et sont issus de la collection du Laboratory of Tree-Ring Research de l’Université d’Arizona.
Cette recherche a été amorcée alors que Tom De Wil était dans le laboratoire de dendrochronologie du Département d’hydrologie et des sciences de l’atmosphère de l’Université d’Arizona, dirigé par Pre Valérie Trouet, engagée en janvier 2023 comme directrice scientifique du Belgian Climate Center sis à Uccle.