Pour éviter que la génération de verre ne se brise en éclats

23 août 2024
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“La génération de verre”, par Bruno Humbeeck. Editions Mardaga. VP 19,90 euros, VN 14,99 euros

La génération des jeunes nés après 2010 est saturée d’écrans. Gavée d’informations. Bombardée d’images de guerres. Menacée par une pandémie de Covid qui peut rebondir à tout moment. «Cette nouvelle génération a, en outre, été traversée par des crises inédites qui l’ont amenée à concevoir que la planète sur laquelle elle vit n’est pas éternelle et qu’elle manifeste même d’inquiétants signes d’essoufflement», écrit le psychopédagogue Bruno Humbeeck dans «La génération de verre», aux éditions Mardaga.

«Ajoutons à cela une crise économique qui augmente le niveau d’incertitude de chacun. Et un monde socioprofessionnel en mutation qui rend naturellement flous tous les projets d’avenir trop précis dans la mesure où 80% des métiers qui seront disponibles sur le marché de l’emploi dans 10 ans ne sont pas encore connus.»

Fragilité et transparence

Le «travaille bien à l’école et tu obtiendras un diplôme qui te garantira une vie facile et heureuse» ne dit pas grand-chose à la génération alpha appelée aussi génération de verre. Pour la qualifier, le directeur de recherche au service des Sciences de la famille à l’UMons utilise les mots fragilité et transparence «qui suggèrent inévitablement à l’esprit humain soucieux de penser en métaphore, l’image du verre pour des adolescents fragilisés par leur anxiété. Et continuellement soucieux de transparence.»

Son livre aide la famille et l’école à comprendre cette nouvelle crise adolescente. À adopter une attitude moins stigmatisante.

«Une parole blessante et c’est l’édifice qui s’écroule. Un échec mal vécut et c’est l’estime de soi qui s’effondre. Un lien affectif rompu et c’est tout l’équilibre qui est rompu…»

Attention, prévenance et précaution

Les réseaux sociaux, l’application Tik Tok et les autoportraits sont omniprésents. Comme les «reels» qui enregistrent des vidéos. «Les parents sont complètement désemparés face à cette nouvelle façon de se mettre en scène et de rendre publiques ces parts d’eux-mêmes qui, auparavant, demeuraient strictement confinées dans des territoires intimes», note le docteur en Sciences de l’éducation.

«La génération de verre se trouve littéralement entraînée dans un cercle vicieux qu’elle ne maîtrise plus. Et au sein duquel l’impression de fragilité et le besoin de transparence se renforcent mutuellement. C’est pour cela que, davantage que les autres sans doute, cette génération réclame de faire preuve d’attention, de prévenance et de précaution.»

Davantage d’anxiété

La génération alpha est plus anxieuse que la génération Z née entre la fin des années 1990 et le début des années 2010. «Le niveau d’anxiété plus élevé que l’on retrouve dans la génération actuelle pourrait l’inciter à problématiser davantage l’information qu’elle reçoit en prenant l’habitude cognitive de la remettre plus systématiquement en question», explique Bruno Humbeeck. «L’anxiété ne devient un problème que dans la mesure où elle jette un voile noir sur l’idée que l’on se fait du bonheur et semble interdire toute possibilité de se sentir heureux dans un présent contaminé jusqu’à la moelle par la perspective d’un avenir porteur de désastres.»

«C’est de cette anxiété généralisée dont il faut se méfier et non pas de la forme d’anxiété tout à fait légitime qui se révèle normalement quand le monde manifeste des signes de finitude, que la guerre frappe à nos portes ou qu’une pandémie nous a montré que les frontières n’étaient pas imperméables à la voracité des virus.»

Nourrir la confiance

L’anxiété qui n’est pas entendue, qui est méprisée ou ravalée au symptôme de dysfonctionnement mental risque de se muer en peur généralisée. En désespoir. En ressentiment.

Selon le psychopédagogue, il faudrait «chercher à trouver l’équilibre en nourrissant dans la même proportion la confiance pour qu’elle puisse, en grossissant, servir de contrepoids à cette anxiété démesurée qui parasite l’envie de grandir de l’ado.»

«C’est à cela sans doute que sert l’éducation et c’est pour cela qu’il faut autour de l’adolescent, des adultes capables d’identifier ce que l’on doit nourrir chez l’adolescent pour lui permettre d’évoluer et de devenir adulte à son tour en faisant intelligemment son chemin dans cette voie nuancée qui se trouve quelque part entre la confiance aveugle et l’anxiété paralysante.»

Disponible sans être envahissant

L’adulte devrait être disponible sans être envahissant. Être attentif sans se révéler intrusif. «C’est au prix de cette posture qu’il se mettra le mieux en position d’explorer la planète adolescente. Avec la patience d’un ethnologue. En évitant le mieux possible tout ce qui, de près ou de loin, évoque l’arrogance d’un envahisseur.»

Pour Bruno Humbeeck, ce livre n’aura pas été écrit pour rien s’il ouvre la voie à «une meilleure connaissance, à une compréhension plus nuancée et une analyse moins discriminante de la toute nouvelle génération.»

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