Série: Spécialisation intelligente en Wallonie (5/6)
« La transformation vers une alimentation saine d’ici 2050 nécessitera d’importants changements dans nos régimes alimentaires. La consommation mondiale de fruits, légumes, noix et légumineuses devra doubler et la consommation d’aliments tels que la viande rouge et le sucre devra être réduite de plus de 50 %. Une alimentation riche en plantes et contenant moins d’aliments d’origine animale confère de nombreux avantages à la fois pour la santé et pour l’environnement.»
C’est par ces mots que le médecin Walter Willett, professeur à l’École de santé publique d’Harvard, pointe, en guise d’introduction du rapport EAT-Lancet, les enjeux actuels de l’alimentation mondiale.
Et c’est dans ce contexte que s’inscrit l’expertise du Pr Haïssam Jijakli, à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège). Le scientifique dirige l’Initiative d’innovation stratégique « WASABI 2.0 », une des IIS du Domaine d’innovation stratégique 5 de la Région wallonne (Chaînes agroalimentaires du futur et la gestion innovante de l’environnement).
Nouveaux modes de production et de transformation alimentaires
« L’agriculture n’est pas neutre pour l’environnement. Elle a même un impact négatif sur la planète, comme tant d’autres activités humaines », précise le chercheur, par ailleurs directeur du Centre de Recherches en Agriculture urbaine à Gembloux.
« On estime que la filière « agrofood » produit 25 % de nos émissions de gaz à effet de serre », pointe-t-il. « Elle utilise 50 % des surfaces habitables de la planète. Ce qui la place aussi comme actrice majeure dans la préservation de la biodiversité. Par ailleurs, elle utilise 70 % des réserves d’eau potable. Mais, bien entendu, l’agriculture est indispensable à notre survie.»
« Par rapport à tous ces défis, et à la croissance de la population mondiale, nous assistons à l’émergence de nouveaux modes de production et de transformation alimentaires. Des modes de production qui visent à optimiser l’utilisation des ressources. Des pratiques nouvelles, comme l’agriculture urbaine. Des modes de production qui visent à intégrer, dans leur cycle, l’utilisation des déchets et des excédents. »
C’est sur base de ces multiples constats que la plateforme scientifique Wasabi a vu le jour ainsi que tout récemment l’IIS WASABI 2.0.
Une plateforme physique au service de l’IIS
La plateforme Wasabi (plateforme WAllonne des Systèmes en Agriculture et BIodiversité Urbaine), c’est tout d’abord une plateforme physique, mise en place dès 2012 à Gembloux (ULiège). À l’origine, il s’agissait de travailler sur l’agriculture urbaine et périurbaine, y compris les dimensions de la transformation et de la distribution. Et dans ces environnements (péri)urbains, ce qui fait le plus sens en termes de production, ce sont les fruits, les légumes et les petits élevages. « Pas les grandes cultures ni les fermes aux mille vaches », insiste le Pr Jijakli.
Depuis, la structure s’est développée. Elle comprend également un pôle biodiversité, un pôle jardin botanique. C’est aussi un lieu de recherches, d’enseignement (nous sommes au sein d’une université) et de démonstration. Et elle va bien au-delà de l’agriculture urbaine.
Valorisation des coproduits horticoles
L’Initiative d’innovation stratégique (IIS) WASABI 2.0 (Développement WAllon des Systèmes Agro-alimentaires horticoles Bienveillants, Intégrés et Innovants) en est un prolongement. Sa particularité? Elle est fortement centrée sur le développement d’une nouvelle agriculture comestible.
« WASABI 2.0 concerne avant tout l’horticulture, à l’échelle de la Wallonie », précise Mme Camille Herben, coordinatrice de l’IIS. « Son objectif global est de stimuler la filière agroalimentaire horticole en Wallonie. Notamment en se focalisant sur les coproduits issus de parties végétales qui ne sont pas exploitées actuellement. »
« Cela passe par l’intégration de la production, de la transformation et de la distribution d’aliments à base de fruits, légumes et d’animaux à indice de conversion faible (poissons, insectes, volailles). Mais aussi par le développement de systèmes agroalimentaires locaux diversifiés et à taille humaine (artisanat, entreprise familiale, PME), durables, circulaires et résilients ».
Enfin, il est aussi question d’accompagner les acteurs du secteur pour stimuler le développement de la filière agroalimentaire horticole émergente, locale et en circuit-court.
Développer l’horticulture comestible
« Et le travail ne manque pas », reprend Mme Herben. « L’objectif est de faire évoluer le secteur de manière durable, mais aussi de changer les habitudes de consommation des Wallons. Actuellement, l’horticulture comestible en Wallonie ne couvre que 17 % de nos besoins. Notre objectif est d’atteindre 30 % d’ici 2028. Et ce sont des chiffres minimalistes. »
« Quand on dit que l’horticulture comestible en Wallonie ne couvre que 17 % de nos besoins, ce chiffre est à mettre en parallèle avec notre consommation moyenne de légumes : à peine 145 grammes par jour », pointe-t-elle, avant de rappeler que si on veut suivre les recommandations du rapport EAT-Lancet, nous devrions mettre chaque jour dans nos assiettes quelque 300 grammes de légumes locaux, hors pommes de terre!
Un autre point d’attention de cette IIS, et non des moindres, concerne le volet économique de l’horticulture. « On estime la production horticole en Wallonie à quelque 150 millions d’euros par an », souligne encore Mme Herben. « Celui de la transformation à un milliard d’euros par an. Ceci avec des revenus par horticulteur plutôt faibles : 21.000 euros. Des chiffres appelés à évoluer », conclut-elle.