Souffrir de lésions cérébrales graves, être incapable de communiquer de manière visible, ne signifie pas nécessairement être inconscient. Parmi 241 patients dans le coma ou en état d’éveil non répondant (anciennement dénommé état végétatif), insensibles de manière apparente aux ordres donnés à leur chevet, 25 % ont néanmoins présenté des réponses cognitives soutenues et pertinentes. Cela a été révélé par des électroencéphalogrammes (EEG) et des scans d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf).
Cette étude a été initiée en 2008 par le Pr Steven Laureys, directeur de l’unité de recherche Giga Consciousness de l’université de Liège, désormais à l’Université de Laval (Québec). En collaboration avec Pr Nicholas Schiff de la Weill Cornell Medicine à New York et Pr Adrian Owen de l’Université de Cambridge, actuellement à l’Université de Western Ontario.
Le tennis en guise de stimulation cérébrale
« Cette importante étude, la plus grande jamais réalisée, est la prolongation de ce qu’on avait déjà démontré il y a plus de 15 ans avec les « tests de tennis ». Les personnes souffrant de graves lésions cérébrales devaient s’imaginer jouer à ce sport, un moyen qui semblait efficace pour communiquer avec elles », explique Pr Steven Laureys, Directeur de Recherches FNRS et fondateur du Coma Science Group et du Centre du Cerveau.
« A l’époque, de nombreuses critiques remettaient en cause la véracité des résultats. Cela fait dès lors plaisir de voir que, finalement, cette étude colossale de plus de 350 patients, réalisée dans 8 centres parmi les meilleurs de la planète confirme qu’une partie des personnes après coma ont encore une activité cérébrale et une forme de conscience. »
Les patients ont été évalués au NewYork-Presbyterian/Weill Cornell Medical Center, au New York-Presbyterian/Columbia University Irving Medical Center, au Rockefeller University Hospital et au Massachusetts General Hospital aux États-Unis, ainsi que dans les centres médicaux de l’Université de Cambridge, de l’Université de Liège et de l’Université de Paris. Quant à l’Icahn School of Medicine at Mount Sinai, elle a servi de centre de coordination de l’étude et a réalisé l’analyse statistique des données des patients.
Une conscience révélée
Concrètement, 353 adultes souffrant de troubles de la conscience – généralement dus à de graves lésions cérébrales traumatiques ou à une interruption de l’apport d’oxygène au cerveau suite à un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde – ont été inclus dans cette nouvelle étude.
Chaque patient s’est vu demander d’effectuer des tâches motrices telles qu’ouvrir et fermer sa main. Dans un deuxième temps, les chercheurs les ont conviés à réaliser des tâches cognitives liées à la motricité, telles qu’imaginer ouvrir et fermer sa main.
241 patients n’ont pas été en mesure de réaliser les tâches motrices. « Toutefois, 25 % d’entre eux ont effectué les tâches cognitives, comme en témoignent les schémas d’activité cérébrale mesurés par EEG et/ou IRMf, comparables à ceux observés chez des sujets “contrôles” », explique Pr Laureys.
« Le fait qu’un quart des patients non-répondants sur le plan moteur et présentant une dissociation cognitivo-motrice aient réussi à exécuter les tâches cognitives suggère que de nombreux patients apparemment inconscients peuvent, en réalité, être conscients et posséder des facultés cognitives. »
Un appel à la réflexion
L’absence de réponse visible à l’œil nu n’est donc pas synonyme d’inconscience. Quels impacts ce résultat pourrait-il avoir au niveau de la prise en charge du patient? « Cette étude est importante d’un point de vue clinique, scientifique, mais également éthique. C’est une invitation à réfléchir pour les cliniciens. Car concernant des cas difficiles, ils peuvent manquer des signes de conscience au chevet du patient. Les livres de médecine sont en train d’être réécrits et la formation des soignants change. Et ce, afin d’être plus prudent (notamment aux paroles prononcées, NDLR) au chevet de personnes qui survivent de blessures graves, mais qui sont privées de possibilités de communication. Que ce soit aux soins intensifs, en revalidation », continue Pr Laureys.
« C’est aussi une invitation à réfléchir pour tout un chacun. Si c’est moi qui suis dans ce lit après un trauma crânien, une hémorragie cérébrale, un arrêt cardiaque, qu’est-ce que je voudrais que l’on fasse ? Dans un testament de vie, on peut identifier une personne de confiance qui peut aider les soignants à prendre les bonnes décisions. Et celles-ci ne peuvent être prises que quand le diagnostic et le pronostic sont bien documentés. »
Interface cerveau-ordinateur et neuromodulation
Exploiter cette capacité cognitive invisible à l’œil nu afin d’établir un système de communication et promouvoir la guérison des patients est essentiel. Les technologies apportent des solutions telles que l’établissement d’interfaces cerveau-ordinateur. Les avancées dans ce domaine, notamment via les travaux de Neuralink, projet porté par Elon Musk, sont fulgurantes.
« Les technologies de neuromodulation (c’est via ce processus que plusieurs classes de neurotransmetteurs du système nerveux tels que la dopamine, la sérotonine, l’acétylcholine, l’histamine, etc. régulent plusieurs populations de neurones, NDLR) sont également intéressantes. Il s’agit de la possibilité de stimuler la neuroplasticité (c’est-à-dire la capacité du cerveau de créer, défaire ou réorganiser les réseaux de neurones et les connexions de ces neurones, NDLR) de manière non invasive afin d’améliorer le pronostic des patients. Sur ce sujet, je travaille avec TRAINM, le plus grand centre dédié en Europe, sis en Belgique. On y utilise la neuromodulation , mais aussi la robotique, pour offrir la meilleure chance de récupération à ces personnes. »