Les lauréats des Prix Nobel scientifiques sont cette année tous Américains, l’augmentation de l’espérance de vie humaine ralentit, le réchauffement entraîne une augmentation du risque de collision avec des requins-baleines, les cellules de levure de bière affamées pour mieux comprendre… le cancer.
À la rédaction de Daily Science, nous repérons régulièrement des informations susceptibles d’intéresser (ou de surprendre) nos lecteurs et lectrices. À l’occasion de notre dixième anniversaire, nous relançons deux fois par mois notre rubrique du week-end « les yeux et les oreilles de Daily Science ». Avec, pour celle-ci, et à la demande de notre lectorat, un regard plus international.
Sept Prix Nobel scientifiques très américains
La semaine des « Nobel » qui s’achève à vu les jurys des différents prix honorer de nombreux scientifiques. Tous sont, cette année, Américains.
Le prix Nobel de physiologie ou de médecine 2024 récompense Victor Ambros et Gary Ruvkun pour la découverte du microARN et de son rôle dans la régulation post-transcriptionnelle des gènes. Les microARN, une nouvelle classe de minuscules molécules d’ARN, jouent un rôle crucial dans la régulation des gènes. Leur découverte révolutionnaire chez le petit ver C. elegans a révélé un tout nouveau principe de régulation des gènes. Ce principe s’est avéré essentiel pour les organismes multicellulaires, y compris l’être humain. Les microARN s’avèrent être d’une importance fondamentale pour le développement et le fonctionnement des organismes.
Le prix Nobel de physique 2024 a été attribué à John Hopfield et Geoffrey Hinton pour leurs découvertes et inventions fondamentales qui permettent l’apprentissage automatique grâce aux réseaux neuronaux artificiels. Les lauréats de cette année ont utilisé des outils de la physique pour élaborer des méthodes qui ont contribué à jeter les bases du puissant apprentissage automatique d’aujourd’hui. John Hopfield a créé une structure capable de stocker et de reconstruire des informations. Geoffrey Hinton a inventé une méthode qui permet de découvrir de manière indépendante des propriétés dans les données et qui est devenue importante pour les grands réseaux neuronaux artificiels actuellement utilisés.
Le prix Nobel de chimie pour sa part va à David Baker pour la conception computationnelle des protéines ainsi qu’à Demis Hassabis et John Jumper pour la prédiction de la structure des protéines. Le prix Nobel de chimie 2024 porte donc sur les protéines, ces outils chimiques ingénieux de la vie. David Baker a réussi l’exploit presque impossible de construire des protéines d’un genre entièrement nouveau. Demis Hassabis et John Jumper ont mis au point un modèle d’intelligence artificielle pour résoudre un problème vieux de 50 ans : prédire les structures complexes des protéines. Ces découvertes sont porteuses d’un énorme potentiel.
L’augmentation de l’espérance de vie humaine ralentit
L’augmentation de l’espérance de vie humaine pourrait être en train de ralentir, selon une analyse des données des trois dernières décennies. Au cours du 20e siècle, les progrès de la santé publique et de la médecine ont entraîné une augmentation de l’espérance de vie humaine d’environ 3 ans par décennie dans les populations à longue durée de vie, rappellent des chercheurs américains. Certaines prévisions des années 1990 suggéraient déjà que les populations à longue durée de vie approchaient d’une limite supérieure de l’espérance de vie, mais d’autres prédisaient que la plupart des enfants nés au 21e siècle vivraient jusqu’à 100 ans ou plus.
Jay Olshansky et ses collègues de l’Université de l’Illinois à Chicago (États-Unis) ont analysé les données relatives à la mortalité dans les neuf régions où l’espérance de vie est actuellement la plus élevée : Hong Kong, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la France, l’Italie, la Suisse, la Suède et l’Espagne. Ils les ont comparées à celles des États-Unis entre 1990 et 2019. Les chercheurs ont constaté que l’augmentation de l’espérance de vie s’est ralentie dans le monde entier et qu’elle a notamment diminué aux États-Unis.
Les taux d’augmentation de l’espérance de vie observés au 20e siècle se sont accélérés, surtout après 2010. Les enfants nés ces dernières années ont une chance relativement faible d’atteindre 100 ans (5,3 % pour les femmes et 1,8 % pour les hommes). La probabilité la plus élevée, par pays, que les enfants nés en 2019 survivent jusqu’à l’âge de 100 ans a été enregistrée à Hong Kong, où 12,8 % des femmes et 4,4 % des hommes devraient atteindre l’âge de 100 ans au cours de leur vie. Aux États-Unis, le pourcentage de cohortes de naissance qui devraient vivre jusqu’à 100 ans en 2019 est de 3,1 % pour les femmes et de 1,3 % pour les hommes.
Olshansky et ses collègues estiment que rien ne permet de penser qu’un allongement radical de la durée de vie s’est produit ou se produira au 21e siècle. Ils notent que, si c’est le cas, de vastes changements institutionnels devront intervenir, notamment dans la planification de la retraite et la tarification de l’assurance-vie.
Le réchauffement entraîne une augmentation du risque de collision avec des requins-baleines
Les requins-baleines pourraient être jusqu’à 15 000 fois plus susceptibles d’entrer en collision avec un navire à la fin du siècle, dans le cadre d’un scénario à fortes émissions de gaz à effet de serre, estime une équipe internationale de scientifiques dirigée par la Britannique Freya Womersley.
Le réchauffement des océans dû au changement climatique pourrait contraindre ces requins menacés, qui sont les plus grands poissons du monde, à migrer vers des environnements plus froids, ce qui augmenterait le risque de collision, selon les auteurs de l’étude.
Freya Womersley et ses collègues ont utilisé les données de suivi par satellite de 348 requins-baleines marqués entre 2005 et 2019, associées à des modèles climatiques mondiaux, pour évaluer l’adéquation actuelle et future de l’habitat des requins-baleines dans les océans du monde entier. Ils ont combiné ces modèles avec le trafic maritime pour évaluer les risques possibles de conflit entre l’homme et le requin. D’ici 2100, les auteurs prévoient que plus de 50 % des habitats appropriés pour les requins-baleines seront perdus dans les scénarios à fortes émissions avec des déplacements vers les pôles de plus de 1000 kilomètres.
Les cellules de levure de bière affamées pour mieux comprendre… le cancer
Des scientifiques du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) de Heidelberg, en Allemagne, et de la faculté de médecine de l’université de Virginie (USA) ont mis en évidence une nouvelle adaptation cellulaire à la famine, dans laquelle les mitochondries des cellules de levure sont recouvertes de ribosomes.
De manière surprenante, les ribosomes s’attachent à la membrane extérieure de la mitochondrie avec une orientation “à l’envers” très inhabituelle. La découverte de ce mécanisme pourrait nous aider à comprendre comment les cellules cancéreuses stressées survivent à la famine.
L’un de leurs sujets d’expérimentation préférés est la levure S. pombe, utilisée depuis des siècles dans la brasserie traditionnelle. En tant qu’eucaryote, la levure ressemble à bien des égards aux cellules humaines, c’est pourquoi les biologistes l’utilisent souvent comme organisme modèle pour étudier les processus cellulaires fondamentaux.
Les scientifiques ont observé que les cellules de levure ont une adaptation remarquable à la famine : leurs mitochondries sont recouvertes d’un essaim de complexes moléculaires massifs appelés ribosomes. Les ribosomes sont la machinerie moléculaire lourde de la cellule qui produit les protéines. Il s’avère cependant que dans les cellules de levure affamées, les ribosomes qui se pressent à la surface des mitochondries ne produisent rien. Ils hibernent.
« L’un des moyens pour une cellule de survivre à des conditions stressantes jusqu’à des jours meilleurs est de réduire sa consommation d’énergie au minimum », explique Olivier Gemin, un des chercheurs. La production de protéines demande beaucoup d’énergie, qui peut être économisée en bloquant les ribosomes.
La raison pour laquelle les ribosomes en hibernation se fixent à la surface des mitochondries reste un mystère. « Il pourrait y avoir différentes explications », a déclaré le chef d’équipe Simone Mattei. « Une cellule affamée finira par commencer à se digérer, les ribosomes pourraient donc recouvrir les mitochondries pour les protéger. Ils pourraient également s’attacher à déclencher une cascade de signalisation à l’intérieur des mitochondries ».
Une autre possibilité étudiée par Mattei concerne le fait que les cellules affamées ont besoin d’un moyen de produire rapidement de l’énergie une fois que la nourriture (sous forme de glucose) est à nouveau disponible. Les mitochondries étant les productrices d’énergie de la cellule, le fait d’avoir des ribosomes à proximité pour produire les protéines nécessaires pourrait faciliter ce processus.
Ce qui a fait bondir les scientifiques, c’est qu’ils ont remarqué que les ribosomes s’attachent à la membrane extérieure des mitochondries d’une manière qui contredit ce que l’on savait d’eux. « Jusqu’à présent, on savait que les ribosomes n’interagissaient avec les membranes que par l’intermédiaire de leur grande sous-unité. Mais dans les cellules affamées, nous avons constaté qu’elles le font à l’envers, par l’intermédiaire de la petite sous-unité », a déclaré M. Mattei. Dans ses prochaines études, l’équipe cherchera à savoir comment et pourquoi les ribosomes s’attachent d’une manière aussi inhabituelle.
Les luttes des cellules de levure affamées présentent des similitudes avec celles des cellules cancéreuses. Lorsqu’une tumeur devient agressive, ses cellules se développent si rapidement que leur demande en nutriments et en oxygène dépasse l’offre. Cela signifie que la plupart des cellules cancéreuses sont constamment affamées dans une sorte d’enfer qu’elles se créent elles-mêmes. Pourtant, elles survivent et se multiplient.
« C’est pourquoi nous devons comprendre les bases de l’adaptation à la famine et comment ces cellules deviennent dormantes pour rester en vie et éviter la mort », explique Ahmad Jomaa, professeur adjoint et chef de groupe à la faculté de médecine de l’université de Virginie et coauteur de l’étude. « Pour cela, nous utilisons d’abord la levure, car nous pouvons la manipuler beaucoup plus facilement. En outre, nous essayons d’affamer des cellules cancéreuses cultivées, ce qui n’est pas facile, afin de comprendre comment elles surmontent la famine, ce qui peut parfois entraîner une rechute du cancer. Comprendre les principes de cette adaptation pourrait nous aider à trouver des moyens de la neutraliser, en rendant les cellules cancéreuses vulnérables à la famine et donc plus sensibles au traitement ».