Herbier de posidonies

Mêmes morts, les herbiers sous-marins produisent de la matière vivante

6 décembre 2024
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Fait parfois méconnu, la plupart des zones côtières des mers du globe abritent des plantes à fleurs. Ce sont les descendantes de plantes terrestres qui ont recolonisé le milieu marin, il y a plusieurs millions d’années. Dans les eaux de la Méditerranée, la Posidonia oceanica (ou posidonie de Méditerranée) forme de vastes herbiers.

Comme sur terre, ces plantes fleurissent, produisent des fruits, et perdent leurs feuilles à l’automne. Ces feuilles mortes s’accumulent en tas, que l’on appelle des « litières ». Celles-ci sont convoitées par des champignons, des bactéries et autres invertébrés (vers, mollusques et de nombreux crustacés) qui en dégradent la matière organique.

Alors que toutes les études sur le sujet s’accordent à dire que ces litières ne font que se dégrader au cours du temps, des scientifiques de l’Université de Liège ont démontré que de la matière vivante y était également produite.

Litière fragmentée et présence de pousses de posidonie vivantes © Gilles Lepoint
Matériel d’étude © Gilles Lepoint

Mieux calculer les flux de carbone

Etudier ces accumulations de matière organique morte (détritique) dans les mers est utile pour mieux comprendre les flux de carbone. Ceux-ci ont un impact direct sur la santé du littoral et la régulation du climat.

De fait, en tant que plante aquatique, la posidonie a recours à la photosynthèse pour vivre et croître. Par ce processus, l’herbier vivant capte la lumière du soleil et le CO2 dissous dans l’eau, tout en produisant de l’oxygène. Du côté des litières, la dégradation de la matière organique consomme de l’oxygène et relâche une partie du carbone séquestré dans les feuilles sous forme de CO2 et de sels nutritifs.

« Néanmoins, on sait que ces litières hébergent aussi des organismes photosynthétiques – des micro-algues, des macro-algues arrachées aux rochers avoisinants, et des faisceaux vivants de posidonies emportés par le courant –, qui participent à la production de matière organique, rejetant donc du dioxygène dans le processus », indique le Pr Alberto Borges, directeur de recherches FNRS au Laboratoire d’Océanographie Chimique de l’ULiège. « C’est sur cette dualité de production et de dégradation de la matière organique dans les litières que s’est concentrée dans notre étude

Plongée sur le site d’étude dans la baie de Calvi (Corse) © Gilles Lepoint

Une litière sous cloche

Pour étudier le phénomène, les chercheurs ont analysé durant plusieurs années une zone de litière spécifique dans la Baie de Calvi (Corse), à proximité de la Station de Recherches Sous-marines et Océanographiques de l’ULiège. Concrètement, après avoir isolé sous cloche la zone étudiée avec des contenants transparents, les scientifiques ont réalisé des prélèvements d’eau afin d’y mesurer les variations d’oxygène. « Selon les changements de concentration, on a calculé la production et la dégradation de matière organique de la litière », précise le Pr Borges.

« L’avantage de cette approche est que l’oxygène peut être mesuré de manière très précise et relativement simplement. Le revers de la médaille est qu’il faut mesurer les concentrations, en plongée, à différents moments pendant 24 h. A savoir à l’aube, au coucher du soleil et à l’aube du lendemain. Il faut ensuite doser au laboratoire tous les prélèvements. Au vu de la charge de travail, nous avons été aidés par des senseurs qui mesuraient l’oxygène de manière autonome. »

Cloches placées dans la zone de litière étudiée © Gilles Lepoint

De la matière morte productrice d’oxygène

L’étude révèle que la litière de posidonies, que l’on imagine a priori morte et inerte, montre une production d’oxygène significative, variant selon la luminosité (et donc selon les saisons), par la présence d’organismes photosynthétiques (micro-algues, macro-algues et faisceaux vivants de posidonies). Il faut dire que, quand la matière organique se décompose, elle relargue des sels nutritifs et du CO2, de la même manière qu’un compost de jardins. « Aussi, dans un tel environnement, toutes les plantes vivantes associées à la litière se portent bien et font de la photosynthèse », développe le Pr Borges.

Autre résultat intéressant : la litière de posidonies se dégraderait plus lentement que calculé jusqu’ici. « En d’autres termes, le carbone organique pourrait être retenu plus longtemps et en plus grande quantité que calculé jusqu’alors », explique le Pr Gilles Lepoint, maître de recherches FNRS et directeur du Laboratoire d’écologie trophique et isotopique de l’ULiège. « Ceci pourrait modifier les bilans de carbone établis pour ces écosystèmes », ajoute le Pr Borges.

Enfin, leurs recherches se sont aussi intéressées aux animaux vivant dans les litières, mettant en évidence l’importance de ces endroits comme sources de nourriture pour divers organismes marins. « Si la faune dans la litière est moins diversifiée que dans les herbiers vivants (quelques dizaines d’espèces, contre plusieurs centaines d’espèces), elle y est de 10 à 100 fois plus abondante», fait savoir le Pr Lepoint. « Ceci souligne l’intérêt des réseaux trophiques détritivores (ou « bruns ») basés sur le recyclage de la matière organique morte, parallèlement aux réseaux trophiques classiques (ou « verts ») basés sur les plantes vivantes.»

Par ces travaux, les chercheurs liégeois démontrent le rôle des litières de posidonies, encore négligées dans les études écologiques, dans les cycles de nutriments et de carbone de la Méditerranée.

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