Les éditions Odile Jacob publient les chroniques scientifiques de Stanislas Dehaene, diffusées sur France Inter. Dans «Une idée dans la tête», le membre de l’Académie française des sciences et de l’Académie royale de Belgique tord le cou à des idées fausses. Expose des stratégies scientifiquement avérées pour mieux utiliser les capacités du cerveau.
«Apprendre est le plus grand talent de notre cerveau» affirme le titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France. «Qu’il s’agisse de langage, de cuisine ou de physique quantique, notre espèce apprend avec une vitesse et une efficacité que même les algorithmes les plus avancés de l’intelligence artificielle sont bien loin d’atteindre.»
Le mythe des hémisphères cérébraux
L’hémisphère gauche du cerveau, calcule, analyse, soupèse. Le droit, c’est l’artiste, le grand émotif? «Rien n’est plus faux!», s’insurge le chercheur en psychologie cognitive. «L’imagerie cérébrale a réfuté cette idée simpliste. La majorité de nos opérations mentales font appel aux deux hémisphères. Cette répartition des fonctions n’est pas fixe, elle peut changer. En cas de lésion dans l’enfance, chaque hémisphère peut prendre le relais de l’autre. Le secret de cette réussite, c’est notre mot-clé: plasticité.»
Plastiques, les circuits cérébraux sont malléables, souples, flexibles. «Sous l’influence de l’apprentissage, ils changent littéralement de forme. Un peu comme un visage ou… un fessier sous le scalpel d’un chirurgien. En réalité, chaque cellule nerveuse, chaque neurone est un petit animal indépendant. Chez notre espèce, l’enfance est prolongée. Notre cerveau reste juvénile. Au moins jusqu’à 20 ou 25 ans pour le cortex frontal.»
Chez l’adulte? «Certains neurones s’entourent progressivement d’une enveloppe rigide. Une sorte de filet qui les empêche de bouger et d’accueillir de nouvelles synapses (zones de passage d’une information d’un neurone à un autre ou à une cellule effectrice, une cellule musculaire). Il devient alors plus difficile d’apprendre. Mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Cette stabilisation nous permet de retenir, à long terme, ce que nous avons appris.»
Le cerveau n’est pas multitâche
Mobiliser l’attention est probablement le pilier le plus important de l’apprentissage, pense Stanislas Dehaene. «On regroupe sous ce terme, un ensemble de circuits cérébraux qui sélectionnent, amplifient ou, au contraire, rejettent les signaux extérieurs. Les choses auxquelles nous ne prêtons pas attention n’ont presque aucun impact sur nous. Et, bien sûr, sur nos apprentissages.»
«L’architecture de notre cerveau nous empêche de faire attention à deux choses en même temps. J’en profite pour dissiper un neuro-mythe. Non, les femmes n’ont pas plus de facilités que les hommes dans ce domaine.»
Comment apprendre à être plus attentif? «Si vous êtes élève ou étudiant, concentrez-vous sur le message à apprendre. Laissez votre téléphone dans une autre pièce. Éteignez les notifications.»
Si on est parent? «La recherche montre que vous pouvez augmenter l’attention de vos enfants. Par exemple, en leur apprenant à jouer d’un instrument de musique. La concentration que cela exige développe les ressources du cortex frontal. Et vos enfants apprendront à mieux inhiber les distractions.»
Il vaut bien mieux faire des erreurs
Que faire si on est enseignant? «À mon sens, le plus grand talent d’un enseignant réside dans sa capacité de focaliser l’attention de ses élèves», souligne le conférencier au Collège Belgique. «Un bon enseignant explique le but de l’apprentissage. Et, tout au long du cours, prête une attention constante à l’attention de l’autre.»
«Cela paraît évident? Pourtant, dans une enquête récente, 80% des enseignants déclarent qu’ils préfèrent laisser les élèves sécher devant un problème avant de leur donner les concepts qui permettent de le comprendre. Ils pensent que chaque élève doit construire ses apprentissages. La recherche montre que c’est faux.»
Selon Stanislas Dehaene, l’enseignement performant commence par donner aux élèves les bases avec une grande clarté. «Mais les laisse ensuite, progressivement, travailler par eux-mêmes. Tout en corrigeant leurs erreurs.»
«L’enseignant doit corriger les erreurs. Mais il ne doit pas les sanctionner. Il doit apporter une information précise que l’élève peut utiliser pour se corriger.»
Faudrait-il encourager les élèves à faire des erreurs ? «J’en serai presque là, parce qu’en vérité l’erreur est indispensable à l’apprentissage. Il vaut bien mieux que les élèves soient actifs et qu’ils fassent des erreurs, que l’enseignant doit immédiatement corriger, plutôt que d’avoir une classe passive, endormie».