Le Fort de Suarlée : de défensif à protecteur du patrimoine archéologique wallon

3 janvier 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

Le 15 juillet 2021 restera longtemps gravé dans les mémoires. Outre les dégâts monstrueux en Province de Liège causés par des pluies torrentielles, le patrimoine wallon a également été touché. En l’espace de quelques heures, l’eau boueuse s’est infiltrée, jusqu’à atteindre 1,5 mètre de hauteur, dans le dépôt central de l’AWaP (Agence Wallonne du Patrimoine), alors situé à Saint-Servais. Celui-ci accueillait, dans un espace d’environ 2000m², du matériel archéologique de toutes les périodes ainsi que des plans et archives de fouille.

Afin de pouvoir entreposer le matériel archéologique sauvé des inondations, un nouveau bâtiment vient d’être construit dans le zoning Ecolys à Namur. Exactement à l’emplacement du Fort de Suarlée, construit avant la Première Guerre mondiale.

Après la Seconde Guerre mondiale, ce Fort devient un terrain d’exercice pour le génie militaire de Jambes, qui y effectue des essais de tir et d’explosifs. Il a ensuite été remblayé partiellement par des terres issues des terrassements de construction des entreprises implantées dans le zoning Ecolys. Abîmé, vandalisé, le Fort est aujourd’hui en partie entre les mains de privés qui y ont aménagé une piste d’essai pour 4×4 et nouveaux véhicules.

Entre avril et juin 2024, au préalable de l’érection du nouveau centre pour entreposer le matériel archéologique wallon, des fouilles préventives ont été menées sur la portion du Fort qui devait l’accueillir. Les résultats ont été présentés lors de la Journée d’Archéologie en Wallonie.

Représentation du site du Fort de Suarlée – vue open street map © WalOnMap
Vue aérienne du site du Fort de Suarlée © WalOnMap

Un Fort fragile

A la fin du XIXe siècle, malgré des traités qui garantissent la neutralité de la Belgique face à l’Angleterre, la France et la Prusse, la vigilance est de mise. Pour protéger le territoire d’une potentielle attaque de ces grandes puissances européennes voisines, une loi est votée en 1887 en faveur de la réalisation de deux ceintures de forts autour des villes de Namur et de Liège. Ce travail est confié au général Henri-Alexis Brialmont. Il se met à l’ouvrage dès l’année suivante.

Henri-Alexis Brialmont en tenue militaire avec l’Ordre de Léopold – domaine public
Ceinture défensive namuroise composée de 7 Forts © adapted by Noben k — OpenStreetMap.org, CC BY-SA 2.5, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=21880038 – Cliquer pour agrandir

Situé au nord-ouest de la capitale wallonne, le Fort du Suarlée est l’un des 9 forts de la ceinture namuroise. Sa construction a été achevée en 1891. De forme triangulaire, il est constitué de couches successives de béton composé de ciment, de sable et de galets issus des dragages de la Meuse.

« Bien que brevetée depuis le milieu du XIXe siècle, la technique du béton armé ne sera utilisée en architecture qu’après la construction du fort », précise Charlotte Van Eetvelde, archéologue à l’Agence Wallonne du Patrimoine (AWaP). Voilà qui explique une certaine fragilité de la structure du bâtiment.

« Lors de la Première Guerre mondiale, l’efficacité du Fort va être compromise. Dans un premier temps, c’est par l’absence de secrets au sujet de sa conception. Outre la présence de nombreux ouvriers étrangers – français, italiens et allemands – , le général Brianon lui-même publie des plans et des coupes des fortifications…»

« D’autre part, les progrès technologiques de l’artillerie mettent à mal les systèmes de défense.»

Le fort de Suarlée est bombardé du 20 au 25 août 1914 et sera le dernier fort namurois à se rendre.

Un système d’aération pour éviter l’intrusion des gaz ennemis

Il sera par la suite occupé, réparé et réarmé par les Allemands qui y installeront notamment l’électricité. Sa modernisation se poursuit en 1932 avec l’installation de tourelles d’artillerie antiaérienne.

« Un nouveau système d’aération est construit pour remédier au manque d’air frais dans les locaux souterrains. Une galerie souterraine passe sous le Fort. Elle mène à une tour d’aspiration d’air construite en béton armé. L’air frais est alors acheminé vers un ventilateur aspirateur qui le redistribue ensuite dans le Fort.»

Cette ventilation permettait, si nécessaire, de créer une surpression dont le but était d’empêcher les gaz de combat de descendre dans les tunnels du Fort. La tour de ventilation est construite à 600 mètres de l’entrée, à l’est du site. Aujourd’hui encore, elle porte les stigmates des bombardements de la guerre.

Une tourelle intégrée dans le projet d’aménagement

Des fouilles préventives ont été menées au printemps 2024. La première zone de terrassement a ciblé essentiellement la zone ouest du Fort. Les deux premiers profonds sondages ont été réalisés par l’entreprise de construction.

A la mi-avril, une première structure est dégagée. Il s’agit d’un puits d’aération du tunnel principal du Fort. « Il est constitué d’une élévation circulaire de presque 4 mètres de diamètre en béton lissé et non armé. Elle présente des fissures et des zones fortement endommagées, laissant apparaître un béton très friable.»

Au sud de ce puits d’aération, le terrassement a mis au jour une tourelle pour canon de 57 mm. « D’une hauteur observable de 2,65 m, son diamètre maximum approche les 9 m. Elle est également construite en béton coffré, composée de galets de Meuse. Pour les besoins du terrassement, cette tourelle a été démontée. Cela a mené à la découverte d’un tunnel souterrain, de 1 mètre de large pour 1,82 mètre de haut, donnant accès au centre du Fort. Le plafond et les parois du tunnel étaient en béton recouvert de plaques de tôle ondulée.»

Une deuxième tourelle a été découverte, mais contrairement à la première, celle-ci est restée sur place et entière. Et sera même valorisée. En effet, « en concertation avec les aménageurs, cette deuxième tourelle a été intégrée au projet de construction au sein de l’espace parking du site.» Voilà qui ravivera peut-être les souvenirs des visiteurs du futur Centre de conservation et d’étude (CCE) de l’AWaP. Celui-ci devrait être opérationnel dans le courant de l’année 2025.

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