Somnifères et calmants : mieux prescrire, mieux accompagner, mieux prévenir

6 janvier 2025
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Plus de 2 millions. C’est le nombre de Belges qui ont consommé un somnifère ou un calmant au cours de l’année 2022, selon les derniers chiffres du SPF Santé publique. Parmi ces médicaments, les benzodiazépines (BZD) et les « z-drugs » (zolpidem, zopiclone, zaleplon) occupent une place importante.

Derrière leur efficacité pour soulager l’insomnie et l’anxiété, ces pilules cachent des effets secondaires significatifs et un risque élevé d’addiction. Une enquête menée en 2020 par l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé montrait que 38% des consommateurs de BZD/Z présentaient des signes de dépendance psychologique.

Dans le projet Benzocare (2021-2024), soutenu par la Politique scientifique fédérale (BELSPO), des chercheurs de l’Université de Gand et de Liège ont exploré les parcours d’utilisateurs chroniques, ainsi que les expériences et opinions des professionnels de la santé en la matière. L’objectif ? Proposer des recommandations politiques adaptées à la réalité de terrain en termes de prescription, mais aussi dans l’encadrement des patients pendant et après traitement.

Evolution du nombre de Belges  ayant consommé un somnifère ou un calmant entre 2012 et 2022 © SPF Santé publique

Une consommation en baisse, mais qui reste problématique

Depuis les années 2000, les autorités belges ont intensifié leurs efforts pour diminuer la prise de BZD/Z et en faire connaître les dangers. Ces traitements causent de nombreux effets indésirables : vertiges, difficulté à se concentrer, baisse des réflexes, diminution de la qualité du sommeil, confusion et perte de mémoire… Surtout, le consommateur peut rapidement développer une dépendance psychologique et physique, et une accoutumance (besoin d’une dose plus importante pour obtenir le même résultat).

« Il est actuellement recommandé aux médecins de prescrire des BZD/Z en dernier recours, à la dose la plus faible, et pendant la période la plus courte possible (4 semaines maximum) », rappelle Pauline Van Ngoc, doctorante à l’Unité de Recherche en Soins primaires et santé de l’ULiège, et participante au projet.

Si les campagnes de sensibilisation ont permis de réduire l’utilisation de BZD/Z (-22% entre 2014 et 2022), celle-ci reste élevée. En 2018, la Belgique était le 2e pays européen avec le taux de consommation le plus haut. A travers le projet Benzocare, des chercheurs ont ainsi émis de nouvelles recommandations concernant la prévention primaire (avant la prescription), mais aussi secondaire (pendant le traitement) et tertiaire (en cas d’usage prolongé).

Accord dans le suivi et soutien entre pairs

Pour ce faire, l’équipe est allée à la rencontre de 19 usagers à long terme (depuis au moins 6 mois), qui sont parvenus à arrêter, réduire ou stabiliser leurs doses. « Il est important de comprendre la trajectoire de ces patients et la complexité des expériences vécues : pourquoi ils ont commencé à en prendre, pourquoi aussi longtemps, quel élément déclencheur a incité au sevrage, les échecs éventuels dans le processus, etc. », précise Pauline Van Ngoc.

D’autres entretiens approfondis ont été menés auprès de 24 soignants (médecins généralistes, infirmiers, assistants sociaux, psychiatres, psychologues), en vue d’analyser leurs expériences dans la prise en charge de ces patients et la façon dont ils perçoivent les BZD/Z dans la pratique clinique.

En s’appuyant sur les résultats de ces entrevues, les partenaires du projet ont formulé 27 recommandations. « L’une d’elles suggère d’apposer sur les boîtes des messages percutants sur les risques de dépendance, et de privilégier la vente de petites boîtes, contraignant ainsi à une utilisation brève. On recommande par ailleurs d’établir un accord entre le prescripteur, le pharmacien et le patient afin de conserver les mêmes intermédiaires tout au long du traitement. En cas de trouble de l’usage, on propose de développer un système de parrainage et d’entraide entre consommateurs dépendants. »

Renforcer le dialogue entre patients et praticiens

Sur base des entretiens, les scientifiques ont aussi conçu une brochure à destination des patients, qui est actuellement testée dans des cabinets médicaux et des pharmacies. « On y liste les effets indésirables possibles des BZD/Z à court terme et à long terme, ainsi que des conseils pour les éviter. L’idée est qu’ils puissent emporter chez eux ce dépliant après la première prescription », explique Pauline Van Ngoc.

Au-delà de l’objectif d’information, cette brochure vise à améliorer l’échange entre patients et professionnels de la santé : « Il ressort des entretiens qu’il est important de remettre l’individu au centre des soins, et cela passe par un meilleur dialogue et une plus grande collaboration entre les acteurs. La brochure inclut, par exemple, un espace dédié pour inscrire, avec le soignant, la date de début du traitement et pour prévoir d’emblée une date de fin, ainsi qu’un rendez-vous de suivi pour réévaluer la situation. »

Le fascicule suggère, en parallèle, plusieurs actions pour mieux dormir ou retrouver son calme en cas d’angoisse, comme pratiquer un sport 30 minutes par jour, ou encore consulter un psychologue spécialisé dans le sommeil et l’anxiété. Rappelant de la sorte que ces médicaments doivent être envisagés en dernière option et ne pas devenir une solution systématique, même quand on dispose d’une boîte dans son armoire à pharmacie.

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