Mesurer la croissance des troncs en temps réel

7 janvier 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

Bien qu’ils nous paraissent statiques, les arbres croissent quotidiennement. Du moins durant la période végétative. Et ce, tant en hauteur qu’en largeur. Des dendromètres automatiques, des appareils à fixer sur le tronc pour en mesurer la croissance radiale (le grossissement), ont été placés sur différentes essences un peu partout en Wallonie. On en retrouve sur des bouleaux en basse Ardenne, sur des épicéas en basse, moyenne et haute Ardenne. Ainsi qu’au cœur de forêts mélangées en Sambre-et-Meuse et dans le Condroz.

En déployant ce réseau de quelque 300 appareils, les chercheurs en gestion des ressources forestières de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), sous la houlette du Pr Tom de Mil, expert en dendrométrie et dendrochronologie, veulent évaluer la résilience des forêts face aux changements climatiques. Et aider les forestiers à opter pour les essences les plus adéquates.

Dendromètre automatique à point © Violette Van Keymeulen

Des mesures de haute précision

Les dendromètres utilisés sont ceux dits à point. « Il s’agit d’un cylindre d’une dizaine de centimètres fixé sur le tronc à l’aide d’une vis jusque dans le cambium. Il est muni d’un petit ressort associé à un potentiomètre. Celui-ci perçoit la pression exercée lors de la croissance radiale du tronc, et la transcrit en valeur de croissance », explique Pr Hugues Claessens, chercheur en gestion des ressources forestières.

La précision de ces dendromètres est de l’ordre du micron (millième de millimètre), et la résolution, de l’ordre du quart d’heure !

Dendromètre automatique à point © Violette Van Keymeulen

Distinguer la croissance radiale

De quoi permettre d’observer des variations fines, comme la dynamique jour-nuit des arbres qui les portent. Au printemps et en été, en début de journée, ils ouvrent les stomates de leurs feuilles afin de capter du CO2 et d’expulser les gaz produits par la photosynthèse, eau et O2. Ce déficit hydrique cause une contraction des tissus de l’arbre.

Ce n’est qu’en fin d’après-midi, quand les stomates se referment, que la perte d’eau diurne par transpiration est compensée par un apport hydrique racinaire. Les tissus végétaux se dilatent alors.

« En parallèle à ce phénomène de gonflement-contraction au rythme de la teneur en eau dans les tissus, on distingue et mesure un phénomène de croissance radiale du tronc, quant à lui non réversible. »

Bouleau verruqueux © Hugues Claessens

Le bouleau verruqueux, un objet d’étude

Le bouleau est une espèce pionnière, qui pousse naturellement sur les terrains mis à nu, après les coupes à blanc. Jusqu’alors délaissé par les forestiers, il se profile comme essence d’avenir de par des caractéristiques remarquables et une croissance rapide.

Lorna Zeoli étudie le bouleau verruqueux (Betula pendula) dans le cadre de sa thèse de doctorat financée par le FNRS et le Plan quinquennal de recherches et vulgarisation forestières. Voilà deux ans que 78 dendromètres ont été fixés sur des individus croissant dans 8 stations sises dans 4 environnements profondément différents de par leur exposition et leur disponibilité en eau : fond de vallée, plateau, versant nord et versant sud en basse Ardenne.

« On essaye de comprendre comment le bouleau se comporte en cas de canicule et de sécheresse, événements climatiques extrêmes qui seront bien plus courants l’avenir. Et d’en déduire sa capacité d’adaptation aux changements climatiques. »

Alors que la deuxième année de mesures s’est clôturée cet hiver, l’analyse de la première année révèle que la croissance radiale des bouleaux installés sur une terrasse alluviale (fond de vallée) est double par rapport aux trois autres stations.

Les dendromètres disposent en sus d’une caméra pour voir quand les bourgeons éclosent, quand les feuilles se forment, jaunissent. Et ce, afin d’établir un lien avec la croissance radiale.

Des premiers résultats attendus

Avec plus de 2 millions de mètres cubes de bois produits annuellement, l’épicéa est l’essence phare de nos forêts. La crise du scolyte a montré que cette essence, de par notamment sa plantation en monoculture, est vulnérable aux changements climatiques. Pas moins de 90 dendromètres automatiques ont été placés en 15 sites suivant un gradient climatique, allant de la basse à la haute Ardenne. Leurs mesures alimenteront un modèle informatique de la croissance radiale de l’épicéa. La première année de récolte se clôture cet hiver.

En parallèle, 135 dendromètres ont été fixés, il y a un an également, sur différentes essences dans des forêts mixtes composées d’érables planes, de tilleuls à petites feuilles, de bouleaux verruqueux, de merisiers, de pins de Corse, de chênes rouges, de chênes sessiles, de hêtres et de douglas. « Il s’agit de caractériser le rythme de croissance radiale de ces essences peu connues et d’observer leurs réponses aux sécheresses et aux canicules. Et ainsi de pointer leur résilience. Cette expérience est réalisée dans le cadre d’un projet Interreg Grande Région baptisé WAVE, et sera reproduite dans différents climats en France et en Allemagne », précise Pr Claessens.

Dendromètre automatique à point © Violette Van Keymeulen

Un outil utile, mais invasif

Vissés dans le tronc, ces dendromètres à point sont invasifs. Une fois retirés, le trou laissé béant est une plaie dans laquelle peuvent s’insinuer des bactéries et des champignons, dont certaines espèces sont de redoutables tueurs d’arbres.

Mais face à ces menaces biologiques, toutes les essences ne sont pas logées à la même enseigne. « Le chêne, par exemple, de par la présence de tanins jouant un rôle protecteur, antibiotique, est peu affecté par les petites plaies. Les hêtres et les érables, par contre, sont plus délicats. A noter que, pour poser les dendromètres, nous ne choisissons jamais les plus beaux arbres, ceux qui donneront le plus de bénéfices au forestier. Mais plutôt des arbres représentatifs de la canopée, en bonne forme, ni trop jeunes ni trop vieux. » Par analogie avec l’humain, disons des trentenaires qui se portent comme des … charmes.

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