Les viticulteurs belges face aux défis du dérèglement climatique

11 février 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

La Belgique est une région climato-viticole spécifique. Et ce, au même titre que la Champagne, l’Alsace, le Jura ou encore la Bourgogne. C’est ce qu’a démontré le climatologue Sébastien Doutreloup en utilisant le modèle MAR (Modèle Atmosphérique Régional) développé à l’ULiège. Comment le climat viticole belge va-t-il évoluer avec le réchauffement climatique ? C’est la question à laquelle il consacre ses recherches. Les premiers résultats ont été présentés lors du colloque Viti-Focus, qui a mis en lumière des études interdisciplinaires sur la filière viti-vinicole belge (Gembloux Agro-Bio Tech).

Un classement selon Huglin

L’indice Huglin est un outil héliothermique crucial en climatologie viticole. Il a été développé par Pierre Huglin, un biologiste français. Prenant à la fois en compte la durée du jour, mais aussi les températures moyennes et maximales journalières, il définit des classes de climats viticoles et les associe à leurs cépages propices.

Par exemple, dans un climat très frais, c’est plutôt le Pinot Gris ou le Müller-Thurgau qui conviendra le mieux. Pour un climat tempéré, le Sauvignon ou le Cabernet Franc. Et pour un climat très chaud, le Carignan ou le Grenache.

« Certains cépages sont toutefois relativement élastiques. C’est le cas du Chardonnay et du Pinot Noir qui, bien que préférant un climat frais, peuvent se balader entre plusieurs classes climatiques», nuance Dr Doutreloup.

La Belgique, plus fraîche que sa voisine

Selon l’indice d’Huglin, notre pays se caractérise par sa grande fraîcheur, largement plus importante que la Champagne à laquelle on le compare pourtant souvent.

« En Belgique, durant la période 2000-2020, pour le Chardonnay, on a assisté en moyenne à une arrivée à maturité au 9 octobre. En Champagne, elle a été atteinte près de 20 jours plus tôt, autour du 23 septembre. Et encore 10 jours plus tôt pour la Bourgogne et l’Alsace.»

« Durant la même période, près d’une année sur deux a été gélive après le débourrement des bourgeons. C’est le double de la Champagne, et bien plus que dans le Jura qui est, certes plus haut en altitude, mais aussi plus au sud.»

Par contre, concernant les précipitations, durant les 20 premières années de ce millénaire, la région viticole belge ne s’est pas distinguée de ses consœurs en Champagne, Alsace, Jura et Bourgogne.

Selon l’indice d’Huglin, depuis les années 1950 et jusqu’au début des années 2000, la région viticole belge est restée dans un « climat très frais ». Mais au début de ce millénaire, elle est passée dans la catégorie « climat frais ». A partir de 2050, selon les modélisations du Dr Doutreloup, elle devrait entrer dans la catégorie “climat tempéré”. Et puis, probablement à la fin du siècle, dans celle “climat chaud” © Laetitia Theunis

Le sud au nord

Comment le climat viticole belge va-t-il évoluer avec le réchauffement climatique ? Selon l’indice d’Huglin, depuis les années 1950 et jusqu’au début des années 2000, la région viticole belge est restée dans un « climat très frais ». Mais au début de ce millénaire, elle est passée dans la catégorie « climat frais ». «Les projections basées sur les observations révèlent que cela devrait perdurer jusqu’en 2050, ensuite notre pays rentrera dans la catégorie “climat tempéré”. Et puis, probablement à la fin du siècle, dans celle “climat chaud”.»

« Si on traduit cela en cépages propices, cela donne du Pinot gris, du Chardonnay et du Riesling jusqu’en 2050. Puis du Cabernet, Tempranillo et Merlot jusqu’en 2080. Et ensuite, le climat sera adéquat pour du Nebbiolo, du Syrah, du Grenache et du Carignan.»

Autrement dit, en termes de cépages, fin de ce siècle, on sera dans la situation rencontrée actuellement dans le sud de la France.

L’Europe viticole va profondément changer. La culture de la vigne sera extrêmement défavorable dans les deux tiers sud de l’Espagne et le sud du Portugal, mais aussi dans certaines régions d’Italie et de Grèce. Au contraire, la zone favorable à la culture de la vigne va s’étendre du tiers supérieur de la France jusque dans le sud de l’Angleterre, de la Finlande, englober la Belgique mais aussi tous les pays baltes, et atteindre l’Oural © Laetitia Theunis

Davantage de risques liés au gel

Mais, concernant la vigne et le vin, peut-on dire que la Belgique ne trouvera que des avantages au réchauffement climatique? Pas vraiment.

Le risque de gel après le débourrement des bourgeons va augmenter. « De prime abord, cela peut paraître paradoxal. Certes, avec le réchauffement climatique, les derniers gels vont progressivement devenir de plus en plus précoces. Le hic, c’est que les hivers belges vont être également de plus en plus doux, et cela va se répercuter par un débourrement plus précoce. Le modèle prévoit que sa date va reculer plus vite que celle du dernier gel… C’est ainsi que d’ici 25 ans, le risque de gel après débourrement sera 50% plus élevé qu’aujourd’hui dans la région viticole belge », analyse Dr Sébastien Doutreloup. A noter que les modèles climatiques prévoient une augmentation de la température telle qu’à un moment, il ne gèlera probablement plus.

Autre souci lié au réchauffement du climat: le taux de sucre des raisins va augmenter. « Plus de sucre implique moins d’acidité et moins de fraîcheur ainsi qu’une conservation moins optimale du vin. Que faire? Récolter plus tôt? Accepter de modifier la typicité du vin? Au cours de ce siècle, les viticulteurs belges seront amenés à se poser les mêmes questions que celles que se posent actuellement leurs confrères du sud de la France », conclut le climatologue viticole.

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