Une équipe internationale d’astronomes, dont de l’ULiège, rapporte la détection de 138 corps rocheux d’une dizaine de mètres de diamètre dans la ceinture principale d’astéroïdes. Ces rochers spatiaux ont des tailles allant de celle d’un bus à quelques centaines de mètres. Ce sont les plus petits astéroïdes jamais détectés à ce jour dans cette région, avec des implications importantes concernant la population d’astéroïdes et la défense planétaire contre les astéroïdes dangereux.
Cette découverte a été rendue possible grâce à une analyse innovante d’images infrarouges d’archives initialement consacrées à l’étude du Système exoplanétaire TRAPPIST-1 et collectées par l’observatoire le plus puissant du monde, le télescope spatial James Webb (JWST) de la NASA.
Moins massifs que la Lune
La majorité des astéroïdes connus gravitent dans la ceinture principale d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter, à une distance moyenne de la Terre d’environ 250 millions de kilomètres.
Depuis la découverte du premier astéroïde en 1801, près de 750 000 d’entre eux ont déjà été dénombrés, principalement au cours de la dernière décennie grâce aux nombreux programmes de surveillance optiques qui scrutent le ciel chaque nuit claire.
La plupart des astéroïdes découverts jusqu’à présent mesurent cependant plus d’un kilomètre, le plus gros, Vesta, mesurant environ 530 km de diamètre, tandis que des dizaines de millions de plus petits astéroïdes devraient exister. Bien que ces nombres semblent énormes, la masse totale de tous les astéroïdes combinés est inférieure à celle de la Lune.
Un œil sur les géo-croiseurs
Parfois, ces astéroïdes sont éjectés vers la Terre par la gravité des planètes voisines, Mars et Jupiter. Ces objets sont appelés astéroïdes géo-croiseurs et environ 35 000 d’entre eux ont été découverts, et ce chiffre ne cesse d’augmenter.
Beaucoup d’entre eux ont percuté la Terre et d’autres planètes dans le passé, jouant un rôle majeur dans la modification de l’histoire géologique des planètes et dans l’évolution de la vie sur Terre. Aujourd’hui, ils sont activement recherchés et étudiés dans le cadre de la défense planétaire de la Terre.
Collaboration liégeoise à l’international
« L’étude des petits corps du Système solaire est d’une importance capitale, car elle nous offre une vue unique sur les premières phases de notre Système, avant même la formation des planètes. Être capable d’observer les plus petits astéroïdes de la ceinture principale nous donnerait non seulement des indices sur les éléments constitutifs des planètes, mais aussi une fenêtre unique sur la source des météorites qui tombent sur Terre », explique Emmanuel Jehin, planétologue de l’Université de Liège qui fait partie de la nouvelle étude menée par les astronomes Artem Burdanov et Julien de Wit du MIT (et Alumni de l’ULiège). « Mais jusqu’à présent, seuls des astéroïdes d’environ 1 km ou plus ont été repérés dans la ceinture principale .»
De Wit et son équipe sont, à l’origine, des spécialistes de la recherche et de l’étude des exoplanètes, ces planètes lointaines qui sont en orbite autour d’autres étoiles que notre Soleil et qui pourraient être habitables. Les chercheurs font partie du groupe dirigé par l’astronome de l’ULiège Michael Gillon, à l’origine de la découverte en 2016 du Système planétaire autour de TRAPPIST-1, une petite étoile rouge située à environ 40 années-lumière de la Terre.
En utilisant d’abord le télescope TRAPPIST-Sud (Transiting Planets and Planetismals Small Telescope) de l’ULiège au Chili et puis de nombreux autres télescopes, l’équipe a confirmé que l’étoile abritait sept planètes rocheuses de la taille de la Terre, dont plusieurs se trouvent dans la zone habitable de leur étoile. Le Système TRAPPIST-1 est rapidement devenu le Système exoplanétaire le plus observé et le mieux caractérisé. En 2023, Michael Gillon et d’autres collègues ont utilisé l’observatoire infrarouge le plus puissant – le télescope spatial James Webb (JWST) de la NASA – pour rechercher des signes d’atmosphères autour des deux planètes intérieures du Système.
Alors que les résultats sont encore en cours d’analyse, Julien de Wit et Artem Burdanov se sont demandé si les mêmes données utilisées pour étudier les exoplanètes pourraient être recyclées et exploitées pour rechercher des astéroïdes qui traverseraient par hasard le champ des images de TRAPPIST-1.
Une technique puissante d’analyse des images
Pour ce faire, ils ont utilisé la technique de traitement d’images dite du « shift and stack » (décalage et empilement), développée pour la première fois dans les années 1990. Cette méthode consiste à décaler plusieurs images du même champ de vision et à les empiler pour voir si un objet, par ailleurs peu lumineux, se déplaçant à la bonne vitesse peut sortir du bruit de fond. Des ressources informatiques importantes sont nécessaires, car elle implique de tester un très grand nombre de scénarios pour déterminer où un astéroïde pourrait se trouver.
L’équipe a appliqué cette approche à plus de 10 000 images JWST du champ TRAPPIST-1, obtenues à l’origine pour rechercher des signes d’atmosphères autour des planètes intérieures du Système. Après avoir traité les images, les chercheurs ont pu repérer huit astéroïdes connus dans la ceinture principale. Ils ont ensuite approfondi la recherche et découvert 138 nouveaux astéroïdes, tous de quelques dizaines de mètres de diamètre ou plus – les plus petits astéroïdes de la ceinture principale détectés à ce jour. Ils soupçonnent que quelques astéroïdes sont en passe de devenir des objets proches de la Terre, tandis que l’un d’entre eux est probablement un Troyen – un astéroïde qui suit Jupiter.
Bien plus nombreux qu’espéré
« Nous pensions que nous ne détecterions que quelques nouveaux objets, mais nous en avons détectés beaucoup plus que prévu ! », explique Julien de Wit. « C’est le signe que nous avons sondé un nouveau régime de population dans lequel de nombreux petits astéroïdes se forment par des cascades de collisions qui sont très efficaces pour détruire les astéroïdes de moins de 100 mètres. »
« Les statistiques de ces très petits astéroïdes de la ceinture principale sont essentielles pour la modélisation de la population d’astéroïdes. En fait, nous pensons qu’il s’agit de débris éjectés lors de collisions d’astéroïdes plus gros, de la taille d’un kilomètre, qui sont observables et présentent souvent des orbites similaires autour du Soleil, de sorte que nous pouvons les regrouper en familles d’astéroïdes », ajoute Miroslav Broz de l’Université Charles de Prague en République tchèque, spécialiste des différentes populations d’astéroïdes dans le Système solaire et co-auteur de l’article.
« Nous ne nous attendions pas à ce qu’une telle percée scientifique sur le Système solaire puisse être réalisée à partir d’observations d’exoplanètes ! », déclare Michael Gillon de l’ULiège et co-auteur de l’étude.
Détecter les astéroïdes au-delà du visible
Le succès de cette étude est dû à la sensibilité extraordinaire du JWST qui, étant situé dans l’espace loin de la Terre, est doté d’un grand miroir et d’instruments de pointe particulièrement sensibles à la lumière infrarouge plutôt qu’à la lumière visible. « Et il se trouve que les astéroïdes qui orbitent dans la ceinture principale d’astéroïdes sont beaucoup plus brillants dans les longueurs d’onde infrarouges que dans les longueurs d’onde visibles, et sont donc beaucoup plus faciles à détecter grâce aux capacités infrarouges uniques du JWST », explique Emmanuel Jehin.
D’autres planétologues se réjouissent de ces résultats. « C’est fantastique de voir comment les données d’archive du JWST peuvent ouvrir de nouvelles portes vers une meilleure compréhension des plus petits astéroïdes, qui jouent un rôle tellement important dans la défense planétaire. Nos résultats reposent sur une nouvelle technique innovante permettant de déterminer la taille d’un astéroïde à partir de simples détections infrarouges sans connaître l’orbite réelle de l’objet », explique Thomas Müller, co-auteur de l’étude et spécialiste du rayonnement infrarouge des astéroïdes à l’Institut Max-Planck de Garching en Allemagne.
« Notre capacité grâce au JWST à repérer ces petits astéroïdes lorsqu’ils sont beaucoup plus éloignés de la Terre, nous permet désormais d’effectuer des calculs d’orbite plus précis, qui sont cruciaux pour la défense planétaire », confirme Marco Micheli du Centre de coordination des objets géo-croiseurs de l’Agence spatiale européenne (ESA) en Italie et co-auteur de l’étude.
« Nous entrons dans un domaine totalement nouveau et inexploré grâce aux technologies modernes », conclut Artem Burdanov. « C’est un bel exemple de ce que nous pouvons faire en regardant les données différemment. Parfois, les bénéfices sont importants, et c’est le cas ici. »