La crise de l’eau potable à Metro Cebu est critique. Cette ville, la deuxième plus grande agglomération des Philippines après la capitale Manille, souffre d’une piètre qualité chimique et biologique de l’eau du robinet ainsi que des aquifères. Maud Toussaint Schurmans, ingénieure en électricité (UCLouvain) s’est rendue sur le terrain rencontrer les parties prenantes et écouter leurs besoins. Cela s’est déroulé dans le cadre de son travail de fin d’études, primé par le prix Ingénieurs sans frontières – Philippe Carlier 2024 et par un HERA Award (catégorie Sustainable Engineering).
« L’innovation de ma démarche réside dans l’implication directe des utilisateurs dans le processus de conception de capteurs de pollution chimique et biologique, une pratique rare en ingénierie. En traduisant leurs besoins réels dès le départ, l’inadéquation fréquente entre les technologies développées et les attentes des utilisateurs finaux pourra être évitée. »


Une problématique complexe
Aux Philippines, pays archipel baignant dans l’océan Pacifique, les ressources en eau douce sont mises sous pression à la suite du changement climatique. De plus, à force de pomper abusivement dans les nappes phréatiques, dans un contexte de boom économique et démographique, certaines localités s’enfoncent graduellement et lentement dans le sol. Résultat : l’eau salée entre dans les terres et contamine les sources d’eau douce situées à proximité des côtes. Cette eau devient alors saumâtre. Les eaux douces sont également polluées chimiquement et biologiquement par une mauvaise gestion des déchets.
A cela s’ajoute une expansion de l’urbanisation, notamment à Métro Cebu. Là-bas, comme dans d’autres parties du pays, l’accès à l’eau douce n’est garanti ni en termes de qualité ni en termes de quantité. « Il y a des problèmes majeurs de gestion des ressources en eau dus au manque de données, de budget, de temps, de personnes. Des problèmes institutionnels amplifient cette mauvaise gestion », précise la chercheuse, qui a réalisé sa recherche sous la houlette de Jean-Pierre Raskin, professeur à l’Ecole polytechnique Louvain.
Dans ces conditions, les eaux souterraines et de surface présentent souvent des taux de contamination dépassant les seuils de sécurité sanitaire établis par l’OMS.

L’eau à prix d’or
Pour mener sa recherche et rencontrer les parties prenantes, Maud Toussaint Schurmans s’est rendue à Metro Cebu de début avril à fin mai 2024, en plein épisode El Niño. « Forte chaleur, sécheresse, absence d’eau potable, des ressources en eau aux niveaux extrêmement bas et extrêmement polluées : cela m’a permis de me rendre compte des pires conditions de vie qui puissent être là-bas. Dans des quartiers entiers, quand les citoyens ouvraient le robinet, aucune eau n’en coulait. Ils devaient se lever à 4h du matin pour aller en collecter au puits à un kilomètre de chez eux pour pouvoir se laver », se remémore Maud Toussaint Schurmans.
Et pour boire ? Un marché parallèle s’est établi. « Des vendeurs d’eau font commerce d’eau distillée ou déminéralisée à des prix élevés. Leur nombre augmente sans cesse en raison de la rentabilité très élevée de ce marché. Même quand de l’eau coule aux robinets, ils concurrencent les réseaux de distribution publics, car la population locale a perdu confiance dans la qualité de l’eau de distribution. »



Accessibles, précis, maniables et réparables
Dans les îles des Philippines, transporter un échantillon d’eau jusqu’à un laboratoire n’est pas une sinécure. En effet, pour s’y rendre, il faut prendre un bateau et passer des heures dans les sempiternels embouteillages qui engorgent les rues de l’archipel. « Ce dont les Philippins ont besoin, ce sont de capteurs de pollution portables fournissant des résultats d’une grande précision », leur permettant de se passer des analyses en laboratoire.
« Mais actuellement, ils ne trouvent rien qui pourrait leur convenir en termes de prix, de précision et surtout de facilité d’utilisation. Ce dernier point est crucial, car les îles sont façonnées de vallées et de collines : certaines rivières, certains points d’eau, sont difficilement accessibles. Il faut pouvoir randonner aisément avec le capteur sur ces terrains laborieux. De plus, il fait chaud, il faut pouvoir faire la mesure rapidement, facilement, idéalement avec une seule main. »
« Les capteurs portables devraient également fournir des résultats instantanés, ce qui permettrait une prise de décision rapide et préviendrait la consommation d’eau contaminée. Leur faible coût permettrait de multiplier les tests, favorisant ainsi une prévention efficace des maladies liées à l’eau et une amélioration de la qualité de vie des citoyens. »
« A cela, s’ajoute un besoin de pouvoir entretenir et réparer soi-même le capteur quand il tombe en panne. Les capteurs actuels sont high-tech, complexes à utiliser, et demandent de les envoyer à l’étranger pour les faire réparer. Les Philippins n’en veulent pas. »



Coopération universitaire au développement
Cette recherche a été menée en partenariat avec le Water Resource Center Foundation (WRC), un centre d’expertise en hydrologie affilié à l’Université de San Carlos, sur l’île de Cebu, aux Philippines.
Les résultats serviront de cadre au développement de capteurs répondant aux besoins des populations locales, en germination à l’UCLouvain. Et nourriront le projet CarAqCol (From groundwater to water consumption: Multidisciplinary Characterization to support sustainable Aquifer exploitation in Coastal metropolitan areas of the Philippines ) qui a débuté fin décembre 2024 pour une durée de cinq ans.
Financée par le volet coopération universitaire de l’ARES, cette collaboration entre l’UMONS, l’UCLouvain et le WRC vise spécifiquement à lutter contre les problèmes d’approvisionnement en eau qui affectent les villes côtières aux Philippines. Et ce, en supportant le développement local de l’expertise en eau souterraine des points de vue hydrogéologiques et économiques. Et en comprenant mieux le fonctionnement des aquifères, la demande en eau, et les facteurs de changement potentiel.