Des collections mortes, vivantes ou… encombrantes ?

13 mars 2025
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 8 minutes

Série : Musées universitaires (2/5)

 

Les collections des musées universitaires sont fascinantes à plus d’un titre. Confectionnées au départ de recherches académiques, de cours dispensés dans l’une ou l’autre faculté, elles font, bien entendu, partie intégrante du patrimoine de l’institution qui les héberge. Ce sont aussi des objets qui témoignent de la démarche scientifique, du fonctionnement de la science. À ce titre, leur conservation et leur valorisation paraissent indispensables.

Le socle indiscutable des savoirs scientifiques

« Ces objets à la matérialité indiscutable sont tout simplement les pièces sur base desquelles les théories scientifiques ont été élaborées, discutées et éventuellement validées », clame le Pr Jean Winand , égyptologue à l’ULiège. « Cela n’a l’air de rien, mais à l’ère des fake news et des faits alternatifs, les collections académiques s’érigent en garantes de la démarche scientifique. »

« Je peux ne pas être d’accord avec un raisonnement scientifique. Mais si celui-ci ne s’appuie pas sur des faits avérés, sur des objets précis, comment réfuter valablement ce raisonnement et en proposer un autre ? Le jour où vous n’avez plus les sources premières, vous ouvrez la porte à toutes les manipulations. Les collections des musées universitaires forment une sorte de garantie démocratique liée aux savoirs. »

Certaines de ces collections, sont-elles dès lors « mortes » ? « Nos collections sont, bien entendu, vivantes », souligne Elisa de Jacquier, directrice du Musée L, à Louvain-la-Neuve. « Elles ne cessent de croître, via, notamment, des donations. Elles sont exposées, visitées, exploitées, étudiées, partagées. Lors de la création du musée de l’université, en 1975, les collections totalisaient 2.500 pièces environ. Aujourd’hui, au Musée L, qui lui a succédé, nous en dénombrons plus de 30.000 ».

Estampage de l’université de Liège © Christian Du Brulle

Les fragiles estampages, des témoins désormais uniques

« Une collection morte est une collection qui ne se développe plus », commente pour sa part le Pr Etienne Famerie, à l’université de Liège. Ce spécialiste de l’épigraphie, la science qui étudie les inscriptions gravées sur des matières dures, prend comme exemple la collection d’estampages de son université. Une collection dont il connaît chaque pièce sur le bout des doigts, et qui ne s’est plus développée depuis des dizaines d’années.

Un estampage est une feuille de papier qui a enregistré en relief les traces d’un texte. « La collection d’estampages de l’ULiège se compose donc de grandes feuilles de papier buvard qui ont enregistré les marques gravées dans la pierre il y a parfois des milliers d’années », explique le Pr Bruno Rochette, actuel responsable de cette collection. « Ce sont des écritures grecques, essentiellement. Mais nous disposons aussi de textes latins, plutôt réalisés pour leur part suivant la méthode des frottis. »

À l’heure des technologies digitales, ces fragiles documents, dont certains sont centenaires, peuvent paraître dépassés, voire sans intérêt. « Erreur ! », reprend le Pr Famerie. « Nous disposons d’estampages qui sont désormais le dernier témoignage de pierres dont on a aujourd’hui perdu la trace. Des pierres qui peuvent avoir été volées ou réutilisées. Dans le passé, les édifices anciens ont souvent servi de carrière pour les nouveaux bâtisseurs », rappelle-t-il.

Moulages au Musée L © Christian Du Brulle

Collections en dormance

La collection liégeoise d’estampages totalise plusieurs centaines de pièces. Elles ne sont accessibles qu’aux étudiants et aux chercheurs. Cette collection n’est donc pas tout à fait morte. «  Les termes sont forts », concède Etienne Famerie. « Mais cela signifie simplement que cette collection ne s’accroît plus. D’autres techniques nous permettent désormais d’enregistrer des images des textes gravés pour les étudier. »

Ecoutez le Pr Famerie parler plus en détail de la technique de l’estampage:

 

À l’ULB, la Dre Nathalie Nyst, coordinatrice du réseau des musées de l’ULB, n’aime pas non plus parler de collections mortes. « Je préfère dire qu’elles sont en dormance », lance-t-elle. « Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ne servent plus à rien. Un jour ou l’autre, on va se repencher sur l’un ou l’autre élément de ces collections voire sur l’histoire de l’ensemble d’une collection, de sa constitution, des personnes qui l’ont initiée, des lieux où les objets ont été récoltés. Et ceci est d’autant plus vrai avec la question de la recherche de provenance. »

Collection d’instruments scientifiques dans la réserve du MuMons © Christian Du Brulle

Un nouvel engouement marqué par une grande générosité

À l’UCLouvain, la partie historique des collections a connu un passé récent mouvementé, lié à la scission linguistique de l’université de Louvain en 1968. « Quand il y a eu séparation, il y a aussi eu un partage des collections et du patrimoine », souligne Elisa de Jacquier. « Un partage parfois aussi binaire que les pièces paires allant à une université et les pièces impaires à l’autre. C’est ainsi que nous avons surtout hérité de la collection relative à la Grèce antique tandis que la KULeuven conservait celles de l’époque romaine. »

Depuis, les collections du musée de Louvain-la-Neuve puis de son successeur, l’actuel Musée L, ont bien grandi, via des legs, des donations de collections d’artistes, l’intégration de collections provenant de professeurs, comme celle d’anthropologie clinique du Pr Steichen.

« Quand le musée de l’université est né, dans les années 1970, il était situé au rez-de-chaussée de la faculté de Philosophie et Lettres et était riche de quelque 2.500 objets », précise-t-elle. « Il s’agissait principalement de collections archéologiques, des moulages anciens, d’objets africains. Une fois le musée inauguré, très rapidement, des collectionneurs privés sont venus frapper à la porte, dont le Dr Charles Delsemme, qui était un médecin liégeois. Il avait été séduit par le concept du dialogue établi entre les objets et l’art au sein du musée. Il nous a ainsi cédé sa collection conçue comme un tout. En réalité, il avait lui-même constitué sa collection en créant des dialogues entre les objets qu’il avait acquis ».

« Par la suite, les dons de collectionneurs ont afflué. Je pense en particulier à une collection de gravures, reçues dans les années 1990, mais aussi des œuvres d’artistes aussi prestigieux que Van Dijk, Rubens, Bruegel, Bonnard, Corot, Picasso, Miro, Soulage, Henry Moore… »

Le résultat est époustouflant. Aujourd’hui, le Musée L a non seulement vu ses surfaces d’exposition tripler par rapport à l’ancien musée universitaire, mais surtout, il dispose de collections riches de plus de 30.000 pièces.

Robert Steichen, médecin psychiatre qui fit don de sa collection d’anthropologie au Musée L. Cette photo est visible dans les salles d’exposition du musée © Christian Du Brulle

Une générosité qui peut aussi devenir encombrante

Le Musée L est particulièrement sollicité par les candidats aux donations et aux legs. « Quand les gens découvrent notre musée, cela suscite chez eux un grand intérêt. Ils ont envie que leur collection perdure et survive de manière unitaire après leur décès, plutôt que d’être dispersée par leurs héritiers. L’offrir à un musée est aussi à leurs yeux, au-delà de potentielles présentations de leurs trésors lors d’expositions temporaires ou dans nos espaces permanents, la garantie qu’elle va être bien conservée et être étudiée », dit encore Mme de Jacquier.

Une bonne affaire pour un musée ? « Pas nécessairement », indique la directrice. « Nos capacités de stockage et nos salles d’exposition ne sont pas infinies. Depuis 3 ans, nous avons constitué un comité d’acquisition pour mieux baliser l’arrivée de nouvelles collections. Des critères d’acceptabilité sont en cours d’ébauche. Ils portent sur la provenance et l’origine des pièces qu’on souhaite nous donner. Sur leur attrait scientifique et culturel. Nous avons une grande variété dans nos collections. Nous restons un musée universitaire et universaliste. Mais il faut aussi pouvoir décider, selon l’intérêt de la collection et surtout son lien avec ce qu’on a déjà ou pas, si celle-ci va compléter nos propres collections et les sujets de recherche. C’est pour cela que ce comité d’acquisition se fait également conseiller par une série d’experts. »

 

NB 1. Cette enquête sur les musées universitaires a bénéficié du soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

NB 2. Les illustrations qui émaillent cette série d’articles proviennent de l’application « Trezoors », réalisée dans le cadre de cette enquête. Trezoors est disponible gratuitement sur Apple Store et Google Play Store. (Voir notre article sur Trezoors)

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