L’idée que la Lune puisse abriter de l’eau naît dès les premières observations astronomiques. Au 17e siècle, l’astronome néerlandais Michael Florent van Langren désignait ainsi comme des « mers » les zones sombres de notre satellite, croyant qu’elles correspondaient à des plans d’eau liquide. Si l’on sait aujourd’hui qu’il s’agit de grands cratères, le terme est resté. La plus célèbre étant la « mer de la Tranquillité », que les astronautes Neil Armstrong et Buzz Aldrin ont foulé en 1969.

Bien que la Lune soit dépourvue de mers et d’océans, la présence d’eau y a été confirmée ces dernières décennies. Notamment grâce aux analyses des matériaux rapportés par les missions américaines Apollo (1969-1972) et soviétiques Luna (1970-1976). Son abondance et sa répartition restent néanmoins incertaines. Tout comme son origine.
Selon une étude récente menée par trois scientifiques, incluant Maxwell Thiemens, chercheur FWO à l’unité de recherche Archaeology, Environmental changes & Geo-Chemistry de la VUB, l’eau lunaire proviendrait en grande partie d’impacts de comètes. Une découverte qui chamboule le consensus scientifique actuel.

L’eau lunaire, une production locale ?
L’une des hypothèses les plus répandues sur l’origine de l’eau lunaire repose sur le vent solaire. Ce flux de particules chargées, essentiellement de l’hydrogène, s’échappe en continu du Soleil vers l’espace interplanétaire. « Selon cette théorie, ces molécules d’hydrogène à haute énergie frappent les roches lunaires et se lient avec l’oxygène présent dans les minéraux, formant ainsi de l’eau : deux hydrogènes (H2) + un oxygène (O) = une molécule d’eau (H2O) », explique le Dr Thiemens.
Dans le cadre d’une thèse réalisée au Département de chimie et de biochimie de l’Université de Californie à San Diego (États-Unis), cette idée a été mise à l’épreuve par l’analyse d’une vingtaine de grammes de matériaux collectés lors du programme Apollo. Neuf échantillons ont été étudiés : « Ils comprenaient des roches lunaires de différents âges et de différents types, aux compositions minérales variées. »
Une signature isotopique incompatible avec la théorie du vent solaire
La première étape de l’étude a consisté à séparer l’infime quantité d’eau présente dans ces roches. « L’innovation réside dans la capacité à extraire de l’eau mesurable à partir de si petites quantités d’échantillons. Il s’agit d’un procédé extrêmement difficile qui a été mené avec succès par la doctorante Morgan Nunn Martinez.»
L’équipe a ensuite réalisé des mesures isotopiques de l’oxygène contenu dans l’eau extraite. Si cette eau avait été produite in situ, par le vent solaire, « les isotopes d’oxygène auraient dû ressembler à ceux observés dans les roches lunaires », raisonne le chercheur. « Or, nous avons constaté que la valeur en oxygène était beaucoup plus élevée, signifiant que le vent solaire ne peut être la source. »

Une origine double surprenante
Contre toute attente, les scientifiques ont découvert qu’une part importante des échantillons présentait des similitudes isotopiques avec celles des comètes. « Bien qu’il semble évident que les comètes constituent une source d’eau, étant principalement composées de glace, il était étonnant que leurs contributions puissent être observées. On se serait, en effet, attendu à ce que les impacts de comètes sur la Lune soient rares. Pourtant, dans plusieurs de nos échantillons, la majorité de l’eau provenait des comètes ! C’était vraiment une énorme surprise ! »
A côté, d’autres échantillons montraient aussi une signature isotopique très semblable à celle des météorites ordinaires – celles qui s’écrasent le plus sur Terre –, mais aussi de météorites à enstatite, considérées comme l’un des matériaux ayant contribué à la formation de notre planète. Cela suggère que l’eau lunaire pourrait provenir en partie de la Terre, remontant à la formation du satellite. Selon la théorie dominante, cette dernière se serait formée à la suite d’une collision entre la Terre et un autre grand objet. L’impact aurait projeté dans l’espace une grande quantité de matière terrestre qui, en s’agrégeant progressivement, aurait donné naissance à la Lune.
Un enjeu pour les futures bases lunaires
« Cette étude présente des preuves extrêmement solides allant à l’encontre des croyances communes sur l’eau lunaire, ce n’est pas rien », assure le Dr Thiemens. L’idée généralement admise selon laquelle la majorité de l’eau lunaire a été produite par le vent solaire est donc à reconsidérer.
Ces résultats rebattent aussi les cartes de projets de bases lunaires : « Si le vent solaire était responsable de l’essentiel de l’eau lunaire, ce serait une ressource renouvelable (le soleil y brillant tout le temps). Mais dans le cas où elle proviendrait surtout des impacts cométaires, alors c’est une ressource limitée. Le vent solaire apportera probablement une contribution, mais peut-être pas de manière suffisamment significative pour être exploité. »
L’analyse approfondie des échantillons lunaires collectés par les missions chinoises Chang’e 5 (2020) et Chang’e 6 (2024), et la récolte de nouvelles roches par le programme américain Artémis (2026) permettra vraisemblablement d’affiner encore les réponses sur l’origine de l’eau lunaire.