IA : intelligence es-tu là ?

10 mars 2025
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“L’IA, le philosophe et l’anthropologue”, par Pascal Picq. Editions Odile Jacob. VP 22,90 euros, VN 17,99 euros

Invité exceptionnel à la soirée-entretien «S’adapter. Le propre de l’Humanité» de l’Académie royale de Belgique, Pascal Picq enrichit le débat radiodiffusé par la RTBF. Le paléoanthropologue français interroge une intelligence artificielle (IA) dans «L’IA, le philosophe et l’anthropologue». Aux éditions Odile Jacob.

Trois intervenants. Klara, une assistante en ligne du dialogueur d’IA ChatGPT développé par l’entreprise étatsunienne OpenAI. Le vulgarisateur Raphaël Enthoven représentant une branche de la philosophie continentale. Pascal Picq, ancien chercheur aux États-Unis à la Duke University et au Collège de France.

On serine constamment le terme ‘intelligence artificielle’… «Le mot ‘intelligence’ n’a pas tout à fait la même signification dans la langue anglaise», rappelle Pascal Picq. «Dans le monde anglophone, ‘intelligence’ désigne la capacité de traiter des informations et des solutions, comme le ‘I’ de CIA (Central Intelligence Agency) ou de MI6 (le service de renseignement britannique Military Intelligence). Dans le monde francophone, ‘intelligence’ s’entend comme une aptitude supérieure et générale. La ‘digitalisation de l’esprit’ pourrait être un terme plus adéquat pour décrire les intelligences artificielles d’aujourd’hui.»

Klara n’est pas prête à philosopher

Que penser des réponses de Klara sur ses possibilités à philosopher? «Klara glisse souvent ‘en attendant, ça ne saurait tarder’», observe le scientifique. «Comme il est impossible de lire tout ce qu’ont produit les philosophes depuis des millénaires, la numérisation de tous les textes permettra d’y accéder par le jeu des questions pertinentes. On aura accès à d’autres réponses, notamment des traditions philosophiques d’autres cultures. Mais on n’aura pas toutes les réponses. Même dans le corpus philosophique numérique le plus exhaustif, si un tel corpus devait voir le jour.»

L’IA ne pose pas de questions… «Donc, elle n’est pas prête à philosopher. Mais n’est-ce pas le reflet de ce que lui demande l’utilisateur? Une fois de plus, ces machines ne sont que le miroir de nos aptitudes intellectuelles et de nos cultures, de nos éducations, de nos fondements anthropologiques. Et de nos capacités de nous poser les bonnes questions. Donc à philosopher, ce qui suppose de posséder un minimum de connaissances sur le sujet.»

Des informations parfois inexactes ou dépassées

Pascal Picq s’interroge sur les interfaces et leurs traitements par les humains qui génèrent les fonctions de ChatGPT. «Il serait pertinent de poser les mêmes questions à d’autres IA génératives, ce que j’invite à faire. À commencer par moi, tout en précisant que je ne sombre pas dans une croyance à une sorte de complot artificiel. En fait, même pas besoin de complot tant les humains se complaisent dans leurs soumissions béhavioristes aux machines. Ils ne tiennent plus leurs smartphones dans la main. Ce sont les smartphones qui ont pris la main.»

Qu’en pense Klara? «Les critiques les plus courantes faites aux réponses proposées par ChatGPT et d’autres IA génératives peuvent varier en fonction des versions et des attentes des utilisateurs. Bien que ChatGPT soit formé sur une vaste quantité de données, il peut parfois fournir des informations inexactes ou dépassées. Notamment sur des sujets techniques ou très spécialisés. Les réponses sont parfois jugées trop neutres ou consensuelles. Évitant de prendre des positions fermes sur des sujets controversés.»

Quels sont les plus grands griefs contre les IA et leurs apprentissages? Pour Pascal Picq, auteur de «L’Intelligence artificielle et les chimpanzés du futur», «ils reprennent en fait ceux qui émaillent l’histoire de l’éducation, partagée entre deux méthodes. Abreuver les cerveaux de systèmes de pensées à la limite de l’endoctrinement. Ou déployer des enseignements qui favorisent l’éveil aux compétences tout en évitant la simple accumulation et la dispersion des connaissances, plus encore avec les outils de l’IA.»

Une uniformisation angoissante

Selon Klara, «une anthropologie de l’IA, dans le contexte de la coévolution de l’humanité avec les intelligences artificielles, nous permettrait de comprendre les dynamiques complexes de cette coévolution entre les humains et les intelligences artificielles. Ainsi que ses implications profondes dans notre société et notre culture.»

Cette dernière phrase dérange le chercheur. «Elle évoque ‘notre’ société et ‘notre’ culture. Et les autres? Il aurait été plus pertinent de mentionner ‘les sociétés et les cultures’. Une précision lourde d’implication puisqu’elle suggère une uniformisation. Le cauchemar des anthropologues. C’est aussi un enjeu pour notre évolution en train de se faire.»

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