Les polluants d’origine anthropique n’affectent pas que le corps des humains. Des chercheurs viennent de révéler qu’un ours brun vieux de mille ans souffrait d’une intoxication au plomb. Cet animal atteint de saturnisme vivait dans le sud-ouest de la Roumanie, une région connue pour son exploitation minière et sa métallurgie depuis le Moyen-âge. Il s’agit de la plus ancienne preuve de pollution métallique causée par l’homme et affectant un animal sauvage.
La région des Balkans et des Carpates abrite les plus anciens sites d’exploitation minière et de métallurgie connus en Europe. « Nous savons que la pollution métallique était déjà significative dans les Balkans dès 600 av. J.-C., mais son impact sur la faune sauvage n’avait encore jamais été étudié », explique Sébastien Olive, chercheur en paléontologie à l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique et co-auteur de l’étude.
Parmi les métaux extraits figurait le plomb, utilisé notamment pour la fabrication de pots, de monnaies, de poids, de canalisations et de balles. L’extraction d’un métal lourd comme le plomb entraîne une contamination de l’environnement : il se diffuse dans l’eau et dans l’air, et certaines plantes peuvent accumuler ce métal dans leurs tissus qui seront ensuite consommés par les animaux et les humains.
Du plomb dans la dentine
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs montrent qu’un ours ayant vécu il y a mille ans dans le sud-ouest de la Roumanie souffrait d’une intoxication au plomb au moment de sa mort. La mâchoire a été découverte en 2011 dans une grotte de Cracul de la Cioaca Goală et a été datée grâce à la méthode du carbone 14.
Grâce à une technique laser (microanalyse par ablation laser), les scientifiques ont pu analyser avec précision la composition chimique de la dentine, un des tissus composant les dents. Un pattern est alors apparu : une absorption plus faible de plomb pendant l’hibernation et une absorption plus élevée durant les saisons d’activité de l’ours. Et au cours de son dernier été, il en a ingéré une dose très élevée.
Effets cérébraux néfastes
Le lien de causalité entre l’intoxication et la mort de l’animal n’a pas été démontré. Nous savons par contre avec certitude que l’ours est tombé dans un puits naturel dont il n’a pas pu ressortir.
« L’intoxication pourrait être la raison pour laquelle l’ours est tombé dans ce puits. Lors de son dernier été actif, la concentration de plomb dans son organisme a atteint 15,2 ppm (parts par million). Cette pollution a certainement eu un impact négatif sur sa santé et son cerveau », explique Sébastien Olive.
À titre de comparaison, chez l’humain, des effets néfastes sur le cerveau apparaissent dès 5 ppm.
Un cas qui n’est peut-être pas isolé
« C’est le premier cas connu d’un animal sauvage souffrant d’une intoxication aux métaux lourds causée par l’activité humaine », poursuit le chercheur en paléontologie. « Il est possible que la pollution métallique ait eu un impact plus large sur la faune sauvage dans l’Europe médiévale, en plus de la chasse et des modifications du paysage. »