Ils ont les pieds sur terre, même si souvent c’est plutôt sur la glace qu’on les retrouve. Gilles, Kyrill et Alexandre, respectivement physicien, chimiste et ingénieur, conjuguent leur passion pour l’aventure polaire avec leur métier. Les trois fondateurs de l’entreprise bruxelloise Imaqa sont comme des « astronautes des glaces ». Dans l’espace, les astronautes sont les yeux et les mains de chercheurs qui leur ont confié la réalisation de leurs expériences. Le trio d’Imaqa fait de même, mais dans les régions polaires, difficiles d’accès. « Imaqa est une société d’exploration scientifique», indique Gilles Denis, le physicien du groupe. « Notre but est d’aider les chercheurs à réaliser au mieux leurs expériences dans les milieux polaires ou extrêmes ».
Deux types de services sont proposés par l’équipe. Soit combiner leurs expéditions polaires sportives avec des interventions scientifiques, comme le prélèvement d’échantillons, le recueil de données, l’utilisation de radar, le dépôt ou la récupération de matériel lié à la recherche. Soit accompagner sur le terrain des équipes scientifiques pas nécessairement familiarisées avec les conditions polaires. Dans ce cas, ils proposent une préparation technique et psychologique aux chercheurs avant le départ et un accompagnement sur place.

La fonte du pergélisol tenue à l’œil
Leur dernière mission de ce type remonte à l’hiver dernier, quand ils ont accompagné l’équipe de la Dre Sophie Opfergelt, géologue et chercheuse qualifiée FNRS à l’UCLouvain, lors d’une campagne d’étude du pergélisol en Alaska.
« Ce que j’étudie », indique Sophie Opfergelt, « ce sont les interactions entre l’eau et les minéraux, qui sont à la fois présents dans les sols, les roches ou la glace. Je m’intéresse plus particulièrement aux lieux où des échanges dynamiques se produisent entre ces différents milieux. Ceci en lien avec les modifications induites par les fluctuations des conditions environnementales. Principalement dans le pergélisol quand il se dégèle.»

Améliorer le taux de réussite des missions scientifiques
« Dans les environnements polaires, où la Terre se réchauffe plus rapidement qu’ailleurs, il y a de nouvelles réactions entre l’eau qui passe de l’état solide (glace) à l’état liquide avec ces minéraux et la libération de divers éléments dans l’environnement, en aval. Mes travaux portent sur la dynamique de ces éléments, une fois qu’ils sont libérés, qu’ils sont transférés et qu’ils changent de milieu. Quand ils se déplacent depuis les sols vers les rivières, ils ont un impact sur les écosystèmes. »
« Notre accompagnement permet de réaliser des missions avec un taux de réussite plus élevé que si les chercheurs partaient seuls, et ce grâce à nos connaissances du terrain », reprend Gilles Denis. L’aventurier sait de quoi il parle. Il était un des membres de l’expédition Nanok, au Groenland, en 2022. Une expédition ultra-sportive, souvent comparée à un triathlon des glaces, au cours de laquelle il avait récolté, avec ses complices de l’époque, des échantillons pour le compte de plusieurs équipes scientifiques en Belgique.

Mission dans la Dark Zone
L’été 2024, l’équipe d’Imaqa est retournée au Groenland. Cette fois pour y récolter des informations dans la « Dark Zone ». Il s’agit d’une bande sombre dans la calotte glacière de 50 kilomètres de large, située entre 400 et 1700 mètres d’altitude, dans la partie sud-ouest de l’île.
Cette bande dans la calotte glaciaire est sombre à cause de l’incrustation de poussières à sa surface. Elle démarre à environ 20 km du front du glacier et remonte jusqu’à 75-80 km à l’intérieur de la calotte.
« Les poussières en question peuvent provenir de l’atmosphère. Elles peuvent aussi résulter d’une certaine forme de pollution », précise la Pre Opfergeldt. « Ces poussières minérales peuvent également avoir été libérées par la fonte du glacier et avoir ensuite été mises en mouvement par le vent. Nous savons désormais que cette région glaciaire s’assombrit à cause des pigments de petites algues qui s’y développent suite aux dépôts de poussières contenant des éléments nutritifs. »
« Si la nature le veut »…
A propos, pourquoi les trois aventuriers-scientifiques ont-ils appelé leur entreprise Imaqa? « Parce qu’en groenlandais, cela signifie « si la nature le veut », explique l’ingénieur Alexandre Buslain, un des cofondateurs. « Là-bas, tout est tellement complexe et changeant—surtout la météo— que Imaqa est souvent utilisé pour dire « on verra bien », « on verra bien ce que la nature décide »…