Recycler l’urine humaine pour fertiliser les cultures

30 septembre 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

L’urine, cet or gaspillé, est un substitut encore peu exploité aux onéreux engrais azotés et phosphatés. Ces derniers sont synthétisés par l’industrie chimique européenne fortement dépendante des importations de gaz naturel et de phosphates. Dans le cadre de la Chaire Francqui ULiège 2024-2025, la professeure Christine Aubry, docteure en agronomie (AgroParisTech) et spécialiste en agriculture urbaine, fait le point sur les expériences menées dans ce domaine en Île-de-France.

Chaque jour, un être humain excrète entre 0,8 et 1,5 litre d’urine. Soit jusqu’à 5 milliards de litres par an rien qu’en Belgique. Ce liquide stérile, sauf en cas de pathologie, est riche en azote (N) et en phosphore (P), précieux éléments minéraux nécessaires à la croissance des plantes et présents sous une forme directement assimilable par les végétaux.

L’or jaune au service des cultures

L’urine humaine est tout à fait apte à remplacer les engrais synthétiques. La démonstration a été faite par une thèse dans le cadre du programme Ocapi porté par le Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains (LEESU) de l’Ecole nationale des ponts et chaussées.

« Sur le plateau limoneux de Saclay, là où est désormais installé AgroPariTech, des expériences de terrain ont été réalisées avec un agriculteur céréalier partenaire. L’urine a d’abord été stockée dans un contenant hermétique durant 1 à 6 mois, selon les recommandations de l’OMS, afin d’éliminer les potentiels pathogènes. Ce « lisain » a ensuite été épandu soit directement sur le champ, soit après avoir été concentré, soit encore mélangé à du compost. » Parallèlement, des engrais chimiques ont été appliqués sur une zone contrôle.

Résultats ? « Il n’y a pas de différences significatives en termes d’efficacité fertilisante entre l’urine et les engrais chimiques azotés. Et ce, quelle que soit la préparation de l’urine. » La raison réside dans la forte concentration d’azote minéral directement assimilable par la plante dans la majorité des urinofertilisants testés tout comme dans les engrais synthétiques.

Le blé fertilisé par le lisain a été moulu et transformé en pain vendu sous le nom de « boucle d’or ». Il a été largement plébiscité par les citoyens. « Face à ce succès, la chambre d’agriculture s’intéresse à cette alternative aux fertilisants chimiques. Et ce d’autant plus que depuis l’année 2022, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, leur prix a flambé à cause de la dépendance européenne au méthane russe », commente Pre Aubry. Les engrais azotés sont, en effet, synthétisés via le craquage (ou pyrolyse) du gaz naturel.

Un panier et un bidon

L’AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne ) des “Radis Actifs“, installée à Châtillon (Hauts-de-Seine), fait le buzz depuis quelques mois avec son initiative : amener un bidon de 5 litres d’urine quand on vient récupérer son panier de légumes. Ce projet, dénommé “ENVILLE” et porté par le programme Ocapi, vise à transformer l’urine en engrais utilisable localement.

La professeure Christine Aubry est partie prenante à cette expérience et en explique le fonctionnement. « Nous, citoyens membres de l’AMAP, récupérons les urines de notre ménage émises à la maison à l’aide d’un matériel ad hoc. Lorsque nous allons chercher nos légumes, nous versons le liquide dans des récupérateurs que le fermier de l’AMAP vient prélever chaque mois. Il stocke ensuite l’urine deux ou trois mois de plus, puis l’épand essentiellement sur ses cultures de céréales. Il n’est, en effet, pas permis en France de l’utiliser sur les cultures de légumes (ce n’est pas non plus permis en Wallonie, NDLR). Nous aimerions que cela change et que notre producteur puisse utiliser cet engrais humain pour faire croître les légumes que nous consommons. »

Et les résidus médicamenteux ?

Reste la question des médicaments. En effet, les Européens en consomment énormément, et une partie de ces molécules ainsi que leurs métabolites se retrouvent finalement dans les urines et fèces. « Il a été montré qu’après deux mois de stockage en conditions anaérobies, l’urine outre être exempte de pathogènes, est également dénuée d’hormones. La prise de pilule contraceptive n’est donc absolument pas un obstacle à l’utilisation d’urine comme fertilisant. Ce qui interpelle, c’est la dégradation de l’ibuprofène, un médicament anti-inflammatoire largement utilisé. Mais aussi la … caféine, une autre molécule abondante dans l’urine des milieux urbains. On ignore ce que ces molécules deviennent dans les sols », explique Pre Aubry.

Le projet de recherche Méd-Urinagri, débuté en 2023, vise à déterminer les concentrations d’une cinquantaine de micropolluants organiques, essentiellement des résidus de médicaments, dans des urines stabilisées, et donc potentiellement épandables. Les premiers résultats sont attendus d’ici fin 2025. La suite de ce projet se concentrera vraisemblablement sur le devenir de ces résidus dans les sols.

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