La psychanalyse s’invite au théâtre

18 avril 2025
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 5 minutes
“Actualité de l’inconscient dans les pratiques et les études théâtrales”, par Pierre Piret et Christiane Page. Editions Academia. VP 24 euros, VN 17,99 euros

Le Centre d’études théâtrales de l’UCLouvain (CET) publie les écrits de 19 artistes, chercheurs, pédagogues, psychanalystes belges et étrangers. Sous le thème «Actualité de l’inconscient dans les pratiques et les études théâtrales». Aux éditions Academia. Avec l’aide financière du Fonds de la recherche scientifique (FRS-FNRS).

«Il s’agit moins de démontrer la validité actuelle du concept d’inconscient et, plus largement, de la psychanalyse, que de nous interroger sur ce qui est en jeu aujourd’hui dans les pratiques et dans les études théâtrales», précisent Pierre Piret, professeur au CET, et Christiane Page, professeure émérite des universités en études théâtrales, qui ont réuni les textes. «C’est pourquoi nous avons fait appel à des théoriciens et à des praticiens concernés de différentes manières par cette question dans leur pratique, leur réflexion – parfois même, à leur insu.»

«À tous, nous avons demandé de garder à l’esprit le fait que la revue s’adresse à un lectorat identifié, artistes, chercheurs, professeurs, étudiants pour qui la question de l’inconscient ne va pas nécessairement de soi.»

Pas d’inconscient, pas de théâtre

Pour le metteur en scène Daniel Mesguich, acteur et professeur, «s’il n’existait pas d’inconscient, il n’existerait certes pas de théâtre. Au théâtre, comme en psychanalyse, quelques phrases, quelques mots, quelques lettres, créent ou dévoilent un monde intérieur. Au théâtre, comme en psychanalyse, la moindre signifiance peut en cacher une autre.»

«Par exemple: ‘words, words, words…’ (des mots, des mots, des mots…), répond Hamlet – qui n’ignore sans doute pas que Claudius est caché à l’épier – à Polonius qui lui demande quel livre il est en train de lire… Pourquoi trois fois le mot ‘words‘? Tout au long de la pièce s’opposent les ‘mots’ aux ‘épées’, le symbolique à la violence. Mais essayez maintenant de dire vite et à haute voix ‘words, words, words’, et vous entendrez tout aussi vite que vous êtes en train de dire ‘sword, sword, sword’… (épée, épée, épée…)»

«La psychanalyse, certes, n’est pas naïve. Elle est peut-être même le champ qui est, qui devrait être, le plus éloigné qui est de la naïveté. Mais il arrive que les psychanalystes, eux, naïfs, le soient, et grandement! »

«Un célèbre psychanalyste avait pensé pouvoir installer Hamlet sur son divan. Et en déduire qu’il était un hystérique.»

La moelle de l’art théâtral

Dans la pièce de théâtre «Les Bonnes», Jean Genet s’inspire de l’histoire de deux domestiques. Des sœurs qui complotent pour assassiner leur maîtresse.

«Fiction ayant fonction de vérité», dit le dramaturge. «Fiction rendant réelle la structure de fiction de la vérité, et par là, « présentification » de l’inconscient. Ce que Lacan a spécialement développé quant au théâtre dans les séances de son séminaire ‘Le désir et son interprétation’ consacrées à Hamlet. Le théâtre donne corps à l’inconscient, à l’‘Autre scène’ comme disait Freud. Soit sous la forme du personnage. Soit parce que l’acteur énonce le discours d’un autre.»

Selon le psychanalyste Yves Depelsenaire, «Les Bonnes» constituent la moelle de l’acte théâtral.

«Qui mieux que Genet a su faire résonner, dans une œuvre d’art, sa pièce ‘Les Bonnes’, cet obscur silence, sur fond de quoi le psychiatre et psychanalyste Lacan voit se développer le crime des sœurs Papin. Cet obscur silence qui se matérialise le soir du 2 février 1933 par le fait d’une banale panne de l’éclairage électrique?»

«Le passage à l’acte criminel, au-delà de la considération qu’il requiert dans la clinique, et spécialement dans la clinique de la psychose, nous donne, selon Lacan, une coordonnée essentielle de l’acte véritable: celle du franchissement d’une limite, d’une transgression, d’un partage qui entraîne dans le sujet lui-même une mutation sans retour.»

Les ados sont attirés par le jeu théâtral

Enseignant et metteur en scène, Michel Desmarets a proposé, pendant plus de 30 ans, une «école du jeu» à des adolescents de 12 à 18 ans de l’enseignement secondaire général. Des cours de théâtre et d’expression scénique dans le cadre d’une option théâtrale en Belgique francophone. Dans la région multiculturelle du Centre.

Pourquoi les ados sont-ils attirés par des activités théâtrales? «Ils y retrouvent une possibilité de mettre entre parenthèses des choix professionnels ou douloureux qu’ils vivent comme une orientation définitive de leur avenir. Ils trouvent aussi comme une autre famille, car les comédiens sont fortement idéalisés…»

L’artiste-pédagogue fait ressortir de sa pratique le travail scénique du chœur, être ensemble tout en étant singulier. Et le jeu masqué.

«Se cacher, voiler une partie du son visage, autorise, suscite paradoxalement une grande liberté d’expression que le pédagogue pourra faire émerger dans des exercices où la sécurité est assurée pour les joueurs.»

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